Titre : |
En exil : les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours / BU de Lettres |
Titre original : |
En exil : les réfugiés en Europe de la fin du 18e siècle à nos jours En exil : les réfugiés en Europe de la fin du dix-huitième siècle à nos jours |
Type de document : |
document électronique |
Auteurs : |
Delphine Diaz (1983-...) , Auteur |
Editeur : |
Paris Cedex 07 : Éditions Gallimard |
Collection : |
Folio |
Sous-collection : |
Histoire num. 312 |
Importance : |
1 vol. (531-[12] p. de pl.) |
Présentation : |
ill. en noir et en coul., couv. ill. |
Format : |
18 cm |
ISBN/ISSN/EAN : |
978-2-07-280244-7 |
Note générale : |
LA PRÉSIDENTIELLE VUE PAR LA DÉFERLANTE
"Le cliché du faux réfugié obsède l'Europe depuis le XIXe siècle''
📖 Abonnez-vous et recevez le numéro 5 de La Déferlante
Entretien réalisé par Iris Deroeux, journaliste et membre
du comité éditorial de La Déferlante
Chères toutes,
chers tous,
Depuis trois semaines, la guerre en Ukraine impose ses thèmes dans le débat national. Et notamment la question de l’accueil des réfugié·es. L’offensive russe a jeté sur les routes trois millions de personnes, dont une très grande majorité de femmes et d’enfants. Cette migration surgit dans un contexte de crise de l’hospitalité dont les ressorts sont très anciens. Dans cet entretien, l’historienne Delphine Diaz nous aide à mettre des mots sur cet exode, et à décrypter le discours sur « les bons et les mauvais migrants » qui résonne jusque dans la campagne présidentielle.
Comment bien nommer le moment historique que nous vivons et les mouvements de population qu’il déclenche ?
Les termes d’exode et d’exilé·es me semblent les plus adaptés pour parler de ce qui se déroule en ce moment. Le premier mot fait référence aux deux guerres mondiales, de 1914-1918 et 1939-1945, qui ont provoqué des déplacements brutaux de populations. Mais on peut craindre que la situation des Ukrainiennes et des Ukrainiens se transforme en exil durable : il va probablement leur être difficile de rentrer dans leur pays avant un certain temps. Dans cette hypothèse, la France ne sera pas forcément l’un des principaux pays d’accueil. Elle se situe pour l’instant en marge des pays frontaliers de l’Ukraine que sont la Pologne, la Roumanie, la Moldavie et la Slovaquie qui accueillent les populations fuyant les bombardements.
Pourtant, si l’on se penche sur le discours médiatique et politique en France, il est frappant de voir que c’est le terme de réfugié·es qui est d’abord employé pour décrire les personnes qui fuient l’Ukraine, quand bien même on ne leur a pas officiellement délivré ce statut. Les médias ou la population ne parlent, en revanche, jamais de migrant·es à leur propos, ce qui contraste beaucoup avec la manière dont on nomme, depuis 2015, les personnes en provenance du bassin méditerranéen, alors même que beaucoup d’entre elles aspirent à obtenir le statut de réfugié. En mettant l’accent sur le déplacement, les mots migrants et migrantes enferment les personnes issues de la précédente vague dans un mouvement perpétuel, comme si elles n’étaient pas appelées à s’installer quelque part. Face à cela, depuis quelques années, des ONG ou des personnalités politiques ont tenté d’imposer à nouveau le terme exilé·es. Ce mot, en usage dans la langue française depuis le Moyen Âge, permet d’insister sur le fait que les personnes quittent leur foyer sous la contrainte, et tend à leur redonner une dignité.
Vous voulez bien nous rappeler ce qui définit juridiquement un ou une réfugié·e ?
Le statut international de réfugié·e est défini par la Convention de Genève de 1951. Pour l’obtenir, il faut affronter un long processus administratif et juridique qui vise, dans les pays d’accueil, à valider un critère essentiel : celui de la persécution individuelle. Que ce soit en raison de ses positions politiques, de son appartenance religieuse, de son appartenance sociale aussi (ce qui permet d’intégrer les personnes persécutées pour leur appartenance à la communauté LGBTQIA+ par exemple). Cela pose problème lors de conflits ayant entraîné des persécutions collectives et des exodes de civil·es. Ayons en tête que notre droit international est le fruit du contexte particulier de la guerre froide : il a d’abord été inspiré par la façon dont on a reçu les dissident·es soviétiques dans le monde occidental. Il est imparfait et pas forcément adapté aux violences de masse, aux nouvelles formes de guerre, de persécution et de départ.
Face à la brutalité de la guerre en Ukraine, l’Europe s’est donc appuyée sur d’autres outils juridiques pour accueillir les civil·es en fuite. Une directive datant de 2001 a été activée par l’Union européenne (UE) pour répondre spécifiquement à cette crise en accordant aux personnes en provenance d’Ukraine une autorisation de passer les frontières de l’Union et, en France, de disposer d’un titre de séjour temporaire renouvelable pendant trois ans. Cela prouve que l’UE est capable de souplesse quand elle le veut. Mais cela montre aussi une différence de traitement entre un exil blanc européen de culture judéo-chrétienne et un exil arrivant du Moyen-Orient et d’Afrique.
Cet accueil différencié selon que l’on est homme ou femme, blanc·he ou noir·e, catholique ou musulman·e, dessine les contours d’une « crise de l’hospitalité » européenne. Est-elle récente ?
Les paroles politiques distinguant les « bon·nes » et les « mauvais·es » réfugié·es, notamment à droite et à l’extrême droite, reposent sur une construction culturelle et raciale. La figure du ou de la « réfugié·e acceptable » évolue ainsi au fil de l’histoire, mais la constante est qu’elle suscite la méfiance. Par exemple, au XIXe et au XXe siècle, les mouvements massifs de juifs et juives d’Ukraine partant de l’Empire tsariste vers l’Europe occidentale et les États-Unis pour fuir les pogroms ont suscité des débats houleux. En Grande-Bretagne, notamment, on se demandait s’il s’agissait d’exilé·es au sens noble du terme, si elles et ils fuyaient vraiment la persécution ou profitaient de cette crise pour aller trouver un avenir meilleur. Le cliché du « faux réfugié » obsède les Européen·nes depuis le XIXe siècle ! Et toutes les crises économiques viennent accentuer ces phénomènes de rejet.
« LES UKRAINIENNES
SONT CONSIDÉRÉES
COMME MOINS MENAÇANTES
QUE DES HOMMES
VENUS DU BASSIN MÉDITERRANÉEN »
Qu’est-ce que l’exode ukrainien a de spécifique par rapport aux récentes vagues migratoires en Europe ?
Sa grande particularité est qu’il est un exode féminin. Les hommes entre 18 et 60 ans étant réquisitionnés militairement, ils n’ont pas la possibilité de quitter l’Ukraine donc ce sont des femmes, des enfants, ainsi que des personnes âgées des deux sexes qu’on retrouve sur les routes. La figure dominante de cet exode est celle de la mère, comme en témoignent les nombreuses photographies de guerre prises ces derniers jours. Ce déséquilibre de genre affecte forcément le regard porté sur les exilées par les opinions publiques. Il explique – en plus du fait qu'elles sont blanches – le traitement à géométrie variable dont ces personnes font l’objet. Les Ukrainiennes sont considérées comme moins menaçantes que des hommes venus du sud du bassin méditerranéen, qui sont davantage assimilés à de potentiels terroristes. L’hospitalité fait, elle aussi, l'objet d'une construction genrée.
En étant jugée moins « menaçante », l’immigration féminine est moins bien documentée, voire invisibilisée. C’est un phénomène que vous évoquez dans votre ouvrage En exil, qui couvre les XIXe et XXe siècles.
Mon intention dans ce livre était d’une part de rappeler des ordres de grandeur : nous avons connu, dès le XIXe siècle, de nombreux mouvements migratoires bien plus amples que ceux de 2015. D’autre part, je souhaitais proposer des récits de vie en redonnant une voix aux enfants et aux femmes, tout autant acteurs et actrices des migrations que les hommes adultes. Il fallait montrer que la figure dominante de l’exilé pensif, tel Victor Hugo sur son rocher à Jersey au XIXe siècle ou encore le réfugié soviétique passant à l’Ouest au XXe siècle, nous empêchait de penser la complexité des situations.
S’intéresser à la vie de femmes dans l’exil, c’est aussi raconter comment les rôles à l’intérieur du foyer ont souvent été redistribués à l’aune de ce bouleversement, et l’émancipation des femmes facilitée. Au XIXe siècle, lorsqu’elles restaient au pays et que les hommes partaient, les femmes pouvaient assumer le rôle de chef de famille, gérer le patrimoine, entretenir les correspondances. Celles qui accompagnaient leur époux en exil, comme Jenny Marx à Londres, animaient des réunions à domicile, participaient aux réseaux d’entraide et s’impliquaient en politique : elles dirigeaient des journaux en exil, elles assuraient la circulation clandestine de publications ou d’objets, elles faisaient des allers-retours incognito vers le pays d’origine en étant moins surveillées parce qu’elles étaient des femmes… Plus rares étaient les femmes seules en exil – Jeanne Deroin ou Louise Michel sont des contre-exemples – mais les départs féminins en solitaire prendront de l’ampleur au siècle suivant.
Dans mon ouvrage, j’évoque ainsi tout autant l’histoire de la princesse Cristina de Belgiojoso, exilée italienne en France au XIXe siècle, aristocrate lettrée, que celle des réfugiées espagnoles de la Retirada, le mouvement d’exil des républicain·es espagnol·es à partir de 1939, et que l’on présente souvent comme une migration d’hommes. Les travaux de l’historienne Maëlle Maugendre nous montrent qu’elles étaient en réalité 100 000 femmes sur 475 000 exilé·es. Elles ont été mieux traitées que les hommes par les autorités : on les envoyait dans des centres d’hébergement quand ces derniers étaient massivement internés dans des camps. Cette différence de traitement se retrouve à travers plusieurs épisodes migratoires.
⟶ Pour aller plus loin : Delphine Diaz, En exil. Les réfugiées en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Gallimard, 2021. |
Langues : |
Français (fre) |
Mots-clés : |
Réfugiés -- Europe -- 1800-....
Émigration et immigration -- Europe -- 18e siècle
Émigration et immigration -- Europe -- 1800-....
Réfugiés -- Europe -- 18e siècle |
Résumé : |
À l’heure où la « crise migratoire », parfois qualifiée de « crise de l’asile », n’en finit pas de diviser les États et les sociétés en Europe, cet ouvrage entend redonner une profondeur historique à une question d’actualité. Il interroge les multiples dénominations et représentations relatives aux « migrants » partis sous la contrainte, en allant de l’« exilé », du « proscrit », au « demandeur d’asile » et au « réfugié ». On y entend résonner les discours prononcés par des proscrits qui ont marqué leur temps, les échos des œuvres littéraires que les exilés nous ont laissées en héritage, depuis Les Châtiments de Victor Hugo jusqu’à Persépolis de Marjane Satrapi, mais on distingue aussi le murmure anonyme des « sans-État », souvent dénigrés et rejetés. Le livre donne enfin la part belle aux oubliés de la migration – femmes, enfants et vieillards –, pourtant largement impliqués dans cette histoire en mouvement.Grâce à un parcours chronologique qui commence avec les insurrections et révolutions de la fin du XVIIIe siècle et s’achève avec le temps présent de la migration contrainte, ce récit transnational de l’histoire des réfugiés donne vie et corps aux exilés d’hier et d’aujourd’hui : il restitue leur expérience collective mais aussi la singularité de leurs parcours européens. |
Note de contenu : |
Sommaire :
P. 11. En exil
P. 13. Avant-propos
P. 23. Introduction
P. 33. Chapitre I. Émigrations, exils et déportations à l'âge des révolutions (1775-1815)
P. 77. Chapitre II. L'exil comme institution politique, du Congrès de Vienne au "printemps des peuples" (1815-1849)
P. 121. Chapitre III. De l'exilé héroïque au réfugié indésirable (1850-1912)
P. 168. Chapitre IV. Vers un traitement international (1912-1933)
P. 217. Chapitre V. Exils, déportations et déplacements forcés (1933-1945)
P. 267. Chapitre VI. Au temps de la guerre froide : un droit d'asile redéfini (1946-1989)
P. 311. Chapitre VII. Crise migratoire ou crise de l'asile ? (1989-2020)
P. 359. Épilogue
Chronol. Bibliographie et sitographie p. [378]-421. Notes bibliogr. p.[422]-501. Index |
En ligne : |
https://www.edenlivres.fr/p/728489 |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=279795 |
En exil : les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours / BU de Lettres = En exil : les réfugiés en Europe de la fin du 18e siècle à nos jours En exil : les réfugiés en Europe de la fin du dix-huitième siècle à nos jours [document électronique] / Delphine Diaz (1983-...)  , Auteur . - Paris Cedex 07 : Éditions Gallimard, [s.d.] . - 1 vol. (531-[12] p. de pl.) : ill. en noir et en coul., couv. ill. ; 18 cm. - ( Folio. Histoire, ISSN 0764-6046; 312) . ISBN : 978-2-07-280244-7 LA PRÉSIDENTIELLE VUE PAR LA DÉFERLANTE
"Le cliché du faux réfugié obsède l'Europe depuis le XIXe siècle''
📖 Abonnez-vous et recevez le numéro 5 de La Déferlante
Entretien réalisé par Iris Deroeux, journaliste et membre
du comité éditorial de La Déferlante
Chères toutes,
chers tous,
Depuis trois semaines, la guerre en Ukraine impose ses thèmes dans le débat national. Et notamment la question de l’accueil des réfugié·es. L’offensive russe a jeté sur les routes trois millions de personnes, dont une très grande majorité de femmes et d’enfants. Cette migration surgit dans un contexte de crise de l’hospitalité dont les ressorts sont très anciens. Dans cet entretien, l’historienne Delphine Diaz nous aide à mettre des mots sur cet exode, et à décrypter le discours sur « les bons et les mauvais migrants » qui résonne jusque dans la campagne présidentielle.
Comment bien nommer le moment historique que nous vivons et les mouvements de population qu’il déclenche ?
Les termes d’exode et d’exilé·es me semblent les plus adaptés pour parler de ce qui se déroule en ce moment. Le premier mot fait référence aux deux guerres mondiales, de 1914-1918 et 1939-1945, qui ont provoqué des déplacements brutaux de populations. Mais on peut craindre que la situation des Ukrainiennes et des Ukrainiens se transforme en exil durable : il va probablement leur être difficile de rentrer dans leur pays avant un certain temps. Dans cette hypothèse, la France ne sera pas forcément l’un des principaux pays d’accueil. Elle se situe pour l’instant en marge des pays frontaliers de l’Ukraine que sont la Pologne, la Roumanie, la Moldavie et la Slovaquie qui accueillent les populations fuyant les bombardements.
Pourtant, si l’on se penche sur le discours médiatique et politique en France, il est frappant de voir que c’est le terme de réfugié·es qui est d’abord employé pour décrire les personnes qui fuient l’Ukraine, quand bien même on ne leur a pas officiellement délivré ce statut. Les médias ou la population ne parlent, en revanche, jamais de migrant·es à leur propos, ce qui contraste beaucoup avec la manière dont on nomme, depuis 2015, les personnes en provenance du bassin méditerranéen, alors même que beaucoup d’entre elles aspirent à obtenir le statut de réfugié. En mettant l’accent sur le déplacement, les mots migrants et migrantes enferment les personnes issues de la précédente vague dans un mouvement perpétuel, comme si elles n’étaient pas appelées à s’installer quelque part. Face à cela, depuis quelques années, des ONG ou des personnalités politiques ont tenté d’imposer à nouveau le terme exilé·es. Ce mot, en usage dans la langue française depuis le Moyen Âge, permet d’insister sur le fait que les personnes quittent leur foyer sous la contrainte, et tend à leur redonner une dignité.
Vous voulez bien nous rappeler ce qui définit juridiquement un ou une réfugié·e ?
Le statut international de réfugié·e est défini par la Convention de Genève de 1951. Pour l’obtenir, il faut affronter un long processus administratif et juridique qui vise, dans les pays d’accueil, à valider un critère essentiel : celui de la persécution individuelle. Que ce soit en raison de ses positions politiques, de son appartenance religieuse, de son appartenance sociale aussi (ce qui permet d’intégrer les personnes persécutées pour leur appartenance à la communauté LGBTQIA+ par exemple). Cela pose problème lors de conflits ayant entraîné des persécutions collectives et des exodes de civil·es. Ayons en tête que notre droit international est le fruit du contexte particulier de la guerre froide : il a d’abord été inspiré par la façon dont on a reçu les dissident·es soviétiques dans le monde occidental. Il est imparfait et pas forcément adapté aux violences de masse, aux nouvelles formes de guerre, de persécution et de départ.
Face à la brutalité de la guerre en Ukraine, l’Europe s’est donc appuyée sur d’autres outils juridiques pour accueillir les civil·es en fuite. Une directive datant de 2001 a été activée par l’Union européenne (UE) pour répondre spécifiquement à cette crise en accordant aux personnes en provenance d’Ukraine une autorisation de passer les frontières de l’Union et, en France, de disposer d’un titre de séjour temporaire renouvelable pendant trois ans. Cela prouve que l’UE est capable de souplesse quand elle le veut. Mais cela montre aussi une différence de traitement entre un exil blanc européen de culture judéo-chrétienne et un exil arrivant du Moyen-Orient et d’Afrique.
Cet accueil différencié selon que l’on est homme ou femme, blanc·he ou noir·e, catholique ou musulman·e, dessine les contours d’une « crise de l’hospitalité » européenne. Est-elle récente ?
Les paroles politiques distinguant les « bon·nes » et les « mauvais·es » réfugié·es, notamment à droite et à l’extrême droite, reposent sur une construction culturelle et raciale. La figure du ou de la « réfugié·e acceptable » évolue ainsi au fil de l’histoire, mais la constante est qu’elle suscite la méfiance. Par exemple, au XIXe et au XXe siècle, les mouvements massifs de juifs et juives d’Ukraine partant de l’Empire tsariste vers l’Europe occidentale et les États-Unis pour fuir les pogroms ont suscité des débats houleux. En Grande-Bretagne, notamment, on se demandait s’il s’agissait d’exilé·es au sens noble du terme, si elles et ils fuyaient vraiment la persécution ou profitaient de cette crise pour aller trouver un avenir meilleur. Le cliché du « faux réfugié » obsède les Européen·nes depuis le XIXe siècle ! Et toutes les crises économiques viennent accentuer ces phénomènes de rejet.
« LES UKRAINIENNES
SONT CONSIDÉRÉES
COMME MOINS MENAÇANTES
QUE DES HOMMES
VENUS DU BASSIN MÉDITERRANÉEN »
Qu’est-ce que l’exode ukrainien a de spécifique par rapport aux récentes vagues migratoires en Europe ?
Sa grande particularité est qu’il est un exode féminin. Les hommes entre 18 et 60 ans étant réquisitionnés militairement, ils n’ont pas la possibilité de quitter l’Ukraine donc ce sont des femmes, des enfants, ainsi que des personnes âgées des deux sexes qu’on retrouve sur les routes. La figure dominante de cet exode est celle de la mère, comme en témoignent les nombreuses photographies de guerre prises ces derniers jours. Ce déséquilibre de genre affecte forcément le regard porté sur les exilées par les opinions publiques. Il explique – en plus du fait qu'elles sont blanches – le traitement à géométrie variable dont ces personnes font l’objet. Les Ukrainiennes sont considérées comme moins menaçantes que des hommes venus du sud du bassin méditerranéen, qui sont davantage assimilés à de potentiels terroristes. L’hospitalité fait, elle aussi, l'objet d'une construction genrée.
En étant jugée moins « menaçante », l’immigration féminine est moins bien documentée, voire invisibilisée. C’est un phénomène que vous évoquez dans votre ouvrage En exil, qui couvre les XIXe et XXe siècles.
Mon intention dans ce livre était d’une part de rappeler des ordres de grandeur : nous avons connu, dès le XIXe siècle, de nombreux mouvements migratoires bien plus amples que ceux de 2015. D’autre part, je souhaitais proposer des récits de vie en redonnant une voix aux enfants et aux femmes, tout autant acteurs et actrices des migrations que les hommes adultes. Il fallait montrer que la figure dominante de l’exilé pensif, tel Victor Hugo sur son rocher à Jersey au XIXe siècle ou encore le réfugié soviétique passant à l’Ouest au XXe siècle, nous empêchait de penser la complexité des situations.
S’intéresser à la vie de femmes dans l’exil, c’est aussi raconter comment les rôles à l’intérieur du foyer ont souvent été redistribués à l’aune de ce bouleversement, et l’émancipation des femmes facilitée. Au XIXe siècle, lorsqu’elles restaient au pays et que les hommes partaient, les femmes pouvaient assumer le rôle de chef de famille, gérer le patrimoine, entretenir les correspondances. Celles qui accompagnaient leur époux en exil, comme Jenny Marx à Londres, animaient des réunions à domicile, participaient aux réseaux d’entraide et s’impliquaient en politique : elles dirigeaient des journaux en exil, elles assuraient la circulation clandestine de publications ou d’objets, elles faisaient des allers-retours incognito vers le pays d’origine en étant moins surveillées parce qu’elles étaient des femmes… Plus rares étaient les femmes seules en exil – Jeanne Deroin ou Louise Michel sont des contre-exemples – mais les départs féminins en solitaire prendront de l’ampleur au siècle suivant.
Dans mon ouvrage, j’évoque ainsi tout autant l’histoire de la princesse Cristina de Belgiojoso, exilée italienne en France au XIXe siècle, aristocrate lettrée, que celle des réfugiées espagnoles de la Retirada, le mouvement d’exil des républicain·es espagnol·es à partir de 1939, et que l’on présente souvent comme une migration d’hommes. Les travaux de l’historienne Maëlle Maugendre nous montrent qu’elles étaient en réalité 100 000 femmes sur 475 000 exilé·es. Elles ont été mieux traitées que les hommes par les autorités : on les envoyait dans des centres d’hébergement quand ces derniers étaient massivement internés dans des camps. Cette différence de traitement se retrouve à travers plusieurs épisodes migratoires.
⟶ Pour aller plus loin : Delphine Diaz, En exil. Les réfugiées en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Gallimard, 2021. Langues : Français ( fre)
Mots-clés : |
Réfugiés -- Europe -- 1800-....
Émigration et immigration -- Europe -- 18e siècle
Émigration et immigration -- Europe -- 1800-....
Réfugiés -- Europe -- 18e siècle |
Résumé : |
À l’heure où la « crise migratoire », parfois qualifiée de « crise de l’asile », n’en finit pas de diviser les États et les sociétés en Europe, cet ouvrage entend redonner une profondeur historique à une question d’actualité. Il interroge les multiples dénominations et représentations relatives aux « migrants » partis sous la contrainte, en allant de l’« exilé », du « proscrit », au « demandeur d’asile » et au « réfugié ». On y entend résonner les discours prononcés par des proscrits qui ont marqué leur temps, les échos des œuvres littéraires que les exilés nous ont laissées en héritage, depuis Les Châtiments de Victor Hugo jusqu’à Persépolis de Marjane Satrapi, mais on distingue aussi le murmure anonyme des « sans-État », souvent dénigrés et rejetés. Le livre donne enfin la part belle aux oubliés de la migration – femmes, enfants et vieillards –, pourtant largement impliqués dans cette histoire en mouvement.Grâce à un parcours chronologique qui commence avec les insurrections et révolutions de la fin du XVIIIe siècle et s’achève avec le temps présent de la migration contrainte, ce récit transnational de l’histoire des réfugiés donne vie et corps aux exilés d’hier et d’aujourd’hui : il restitue leur expérience collective mais aussi la singularité de leurs parcours européens. |
Note de contenu : |
Sommaire :
P. 11. En exil
P. 13. Avant-propos
P. 23. Introduction
P. 33. Chapitre I. Émigrations, exils et déportations à l'âge des révolutions (1775-1815)
P. 77. Chapitre II. L'exil comme institution politique, du Congrès de Vienne au "printemps des peuples" (1815-1849)
P. 121. Chapitre III. De l'exilé héroïque au réfugié indésirable (1850-1912)
P. 168. Chapitre IV. Vers un traitement international (1912-1933)
P. 217. Chapitre V. Exils, déportations et déplacements forcés (1933-1945)
P. 267. Chapitre VI. Au temps de la guerre froide : un droit d'asile redéfini (1946-1989)
P. 311. Chapitre VII. Crise migratoire ou crise de l'asile ? (1989-2020)
P. 359. Épilogue
Chronol. Bibliographie et sitographie p. [378]-421. Notes bibliogr. p.[422]-501. Index |
En ligne : |
https://www.edenlivres.fr/p/728489 |
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