[article]
Titre : |
La délinquance des adolescentes : une violence de genre ? |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Olivier Moyano, Auteur |
Année de publication : |
2008 |
Note générale : |
Pendant longtemps, le phénomène de la délinquance des filles n’a pas été pris en compte. Or, il apparaît que le nombre de filles commettant des délits a eu tendance à augmenter au cours des dernières années. D’un point de vue psychopathologique, qu’est-ce qui fait la spécificité de l’acte délinquant au féminin ? |
Langues : |
Français (fre) |
Mots-clés : |
Délinquance Adolescente Violence Genre Identité |
Résumé : |
Généralités
La participation des filles à la criminalité reste faible tant sur le plan de l’ampleur que sur celui de la gravité des actes. Les statistiques émises par le ministère de la Justice montrent que la question judiciaire ne concerne les filles que de façon extrêmement minoritaire. Si la violence et la délinquance des mineurs sont en croissance régulière pour les délits au cours des quinze dernières années (les années 1994 et 1995 restant à part), les condamnations pour crime augmentent régulièrement avec une stabilisation en 2004. Pour les filles, la stabilité des condamnations criminelles est stable depuis 1994, avec comme corollaire une augmentation régulière des condamnations pour viol. La violence sexuelle des filles s’est donc légèrement accrue. La courbe des condamnations pour délits s’incurve légèrement pour retrouver, en 2004, le taux de 1990.
Malgré tout, nous voyons combien ces chiffres s’inscrivent dans une large minorité qui fait que, pendant longtemps, le phénomène de la délinquance des filles n’a pas été pris en compte.
Pour autant, ce n’est pas parce qu’un phénomène demeure isolé qu’il ne mérite pas une attention scientifique. Surtout si celui-ci, soulignons-le, existe quand même depuis toujours. Quelques travaux sur ce sujet existent, mais le discours scientifique a longtemps qualifié la différence fille / garçon pour des raisons tantôt biologiques, tantôt psychologiques ou sociologiques. En tout état de cause, et cela est une évidence première, la violence et la criminalité des filles ont été expliquées à partir d’éléments issus de conceptions bien particulières liées à la différenciation sexuelle.
Criminologie et sociologie de la délinquance et de la violence chez les filles
Rappelons, avec S. Rubi, qu’en France l’étude de la délinquance féminine est pour le moins marginale, pour ne pas dire inexistante, si l’on cherche des travaux sociologiques à ce sujet.
Pour B. Doyon et M. Bussières (1999), la délinquance et la criminalité sont des phénomènes presque exclusivement masculins. Le jeune homme sera condamné pour toutes sortes d’actes criminels, dont des crimes avec violence ou de plus grande amplitude. Les jeunes femmes sont beaucoup moins violentes et commettent surtout des crimes qui ne sont pas dirigés contre autrui. En revanche, la tendance des femmes à prendre une part plus grande dans la criminalité à mesure qu’elles vieillissent est confirmée.
Si nous observons que le nombre de filles commettant des délits a eu tendance à augmenter au cours des dernières années, quelles peuvent en être les causes ?
L’augmentation réelle du nombre des délits ne peut, à elle seule, rendre compte de l’ampleur de cette réalité. C’est pourquoi nous devons avancer d’autres explications. Une de celles-ci tient en une plus grande reconnaissance actuelle des filles comme délinquantes. Autrefois, les filles qui commettaient des délits voyaient leurs actes camouflés au nom de leur statut de « bonne petite fille ». Ainsi, il y avait moins de détection de ces délits. Cette affirmation confirme que les autorités tolèrent moins qu’auparavant les méfaits commis par les filles. Une autre explication sociologique tient aussi au fait que les filles et les femmes prennent aujourd’hui plus part aux activités en dehors de la maison.
On peut relever, dans la littérature scientifique, cinq grands facteurs sociaux de la délinquance et de la criminalité qui jouent, aujourd’hui, autant pour les filles que les garçons :
● Le statut socioéconomique inférieur qui peut engendrer un sentiment d’infériorité et créer chez l’individu le désir de posséder plus.
● L’influence de la bande ou du groupe, l’appartenance à une minorité ethnique qui, bien que moins importante que les autres, montre que le choc des cultures peut expliquer l’activité délictueuse.
● La rencontre amoureuse des filles avec des garçons plus âgés et aux comportements déviants est un facteur favorisant la délinquance et la consommation de substances psychoactives, et montre chez ces dernières une augmentation dans un engagement déviant.
● Le dernier facteur social est la famille. Selon beaucoup d’auteurs, il s’agit d’un facteur clé relié à la délinquance et à la criminalité, lorsque l’on considère notamment que la famille influence considérablement le comportement de l’individu en lui fournissant un ensemble de rôles à suivre. Dans ce cadre, les filles évoquent des situations interpersonnelles difficiles à leurs yeux, comme des conflits avec leurs parents, des deuils, des disputes entre amis et des expériences de victimisation.
Lorsque la situation familiale présente certaines lacunes ou dysfonctionnements, par exemple des problèmes de violence conjugale, on peut observer des comportements violents chez l’enfant. Le rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites et du comportement chez l’enfant et l’adolescent a montré que la violence familiale, vécue pendant l’enfance, lorsqu’elle était suivie de troubles des conduites, avait un effet direct sur la délinquance des filles (INSERM, 2005, p. 92). Selon B. Doyon et M. Bussières, l’influence de la famille est plus forte pour les filles que pour les garçons, les filles seraient plus sensibles aux différents problèmes familiaux, tout particulièrement en ce qui concerne la rupture.
Sur un plan individuel, il existe de fortes corrélations entre la criminalité et l’abus de substances psychoactives aussi bien chez les filles que chez les garçons, et les sociologues ont repéré deux autres facteurs importants que sont l’ajustement émotionnel adéquat, qui, lorsqu’il est défaillant, entraîne une incapacité de s’ajuster aux expériences vécues, et la faiblesse de l’estime de soi. Ainsi soit la personne rencontre trop de frustrations découlant de situations non adaptées à ses besoins, ce qui provoque un déséquilibre important et des réactions désadaptées consécutives, soit le passage à l’acte délictueux peut devenir pour l’individu un moyen pour se valoriser à ses propres yeux comme à son groupe d’appartenance.
Les théories sociologiques décrivent également ce qu’elles appellent des « causes motivantes » qui, lorsqu’elles sont associées à une des causes prédisposantes que nous venons de citer, créent bien souvent de la délinquance ou de la criminalité. Il s’agit de causes motivantes planifiées ou impulsives, les premières ayant comme caractéristiques qu’elles ont un but particulier, précis, qu’elles témoignent d’un délit préparé à l’avance, les autres ont ceci de particulier que les délits qu’elles engendrent répondent à une frustration. L’individu vient de vivre une contrariété et, presque immédiatement, il passe à l’acte. C’est dans ce contexte que la criminologie de l’adolescent situe la majorité des actes commis. Le psychopathologue reconnaîtra là la dynamique adolescente bien repérée et le particularisme de la pensée pubertaire, le rapport à la frustration et les aléas des capacités de symbolisation. Parmi les causes motivantes, on trouve l’insatisfaction face à la situation matérielle, la recherche d’émotions fortes, la fuite d’un état d’ennui ou d’un sentiment d’infériorité, le désir de gratification sexuelle immédiate dans le cas des agressions sexuelles et la revendication d’indépendance.
La spécificité des filles dans l’expression de la violence est sans doute issue, en partie, des conséquences de la construction sociale de la déviance (Picca, 1983, Cusson, 1998) et du caractère stéréotypé de la différence sexuelle : on s’accorde à penser que les garçons vivent plus souvent des expériences de confrontation, de rapport de forces, qu’ils sont éduqués pour être actifs, agressifs et indépendants (Blaya, Debarbieux, Rubi, 2003), et leur opposition aux conventions, aux lois et aux normes conventionnelles est souvent valorisée. À l’inverse, les filles seraient socialisées pour être passives, attentionnées et dépendantes, et devraient faire preuve d’adhésion aux conventions. |
Note de contenu : |
La question de la violence et de la délinquance des filles tient aujourd’hui une part modeste dans les travaux de recherche en criminologie et reste marginale en psychopathologie.
Nous allons présenter les prémices d’une recherche concernant la question de la délinquance des adolescentes, et notamment la place de la violence chez les filles et sa signification psychopathologique. Pouvons-nous, sur le plan clinique, supposer une spécificité de genre, comme certaines des théories criminologiques actuelles le proposent (Blaya, Debarbieux, Rubi, 2003) ? Que peut en dire la psychopathologie ? |
En ligne : |
https://www.jdpsychologues.fr/article/la-delinquance-des-adolescentes-une-violen [...] |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=218637 |
in Le journal des psychologues : le mensuel des professionnels / BM de Tours et Cairn.info > N.263 (DECEMBRE 2008-JANVIER 2009)
[article] La délinquance des adolescentes : une violence de genre ? [texte imprimé] / Olivier Moyano, Auteur . - 2008. Pendant longtemps, le phénomène de la délinquance des filles n’a pas été pris en compte. Or, il apparaît que le nombre de filles commettant des délits a eu tendance à augmenter au cours des dernières années. D’un point de vue psychopathologique, qu’est-ce qui fait la spécificité de l’acte délinquant au féminin ? Langues : Français ( fre) in Le journal des psychologues : le mensuel des professionnels / BM de Tours et Cairn.info > N.263 (DECEMBRE 2008-JANVIER 2009)
Mots-clés : |
Délinquance Adolescente Violence Genre Identité |
Résumé : |
Généralités
La participation des filles à la criminalité reste faible tant sur le plan de l’ampleur que sur celui de la gravité des actes. Les statistiques émises par le ministère de la Justice montrent que la question judiciaire ne concerne les filles que de façon extrêmement minoritaire. Si la violence et la délinquance des mineurs sont en croissance régulière pour les délits au cours des quinze dernières années (les années 1994 et 1995 restant à part), les condamnations pour crime augmentent régulièrement avec une stabilisation en 2004. Pour les filles, la stabilité des condamnations criminelles est stable depuis 1994, avec comme corollaire une augmentation régulière des condamnations pour viol. La violence sexuelle des filles s’est donc légèrement accrue. La courbe des condamnations pour délits s’incurve légèrement pour retrouver, en 2004, le taux de 1990.
Malgré tout, nous voyons combien ces chiffres s’inscrivent dans une large minorité qui fait que, pendant longtemps, le phénomène de la délinquance des filles n’a pas été pris en compte.
Pour autant, ce n’est pas parce qu’un phénomène demeure isolé qu’il ne mérite pas une attention scientifique. Surtout si celui-ci, soulignons-le, existe quand même depuis toujours. Quelques travaux sur ce sujet existent, mais le discours scientifique a longtemps qualifié la différence fille / garçon pour des raisons tantôt biologiques, tantôt psychologiques ou sociologiques. En tout état de cause, et cela est une évidence première, la violence et la criminalité des filles ont été expliquées à partir d’éléments issus de conceptions bien particulières liées à la différenciation sexuelle.
Criminologie et sociologie de la délinquance et de la violence chez les filles
Rappelons, avec S. Rubi, qu’en France l’étude de la délinquance féminine est pour le moins marginale, pour ne pas dire inexistante, si l’on cherche des travaux sociologiques à ce sujet.
Pour B. Doyon et M. Bussières (1999), la délinquance et la criminalité sont des phénomènes presque exclusivement masculins. Le jeune homme sera condamné pour toutes sortes d’actes criminels, dont des crimes avec violence ou de plus grande amplitude. Les jeunes femmes sont beaucoup moins violentes et commettent surtout des crimes qui ne sont pas dirigés contre autrui. En revanche, la tendance des femmes à prendre une part plus grande dans la criminalité à mesure qu’elles vieillissent est confirmée.
Si nous observons que le nombre de filles commettant des délits a eu tendance à augmenter au cours des dernières années, quelles peuvent en être les causes ?
L’augmentation réelle du nombre des délits ne peut, à elle seule, rendre compte de l’ampleur de cette réalité. C’est pourquoi nous devons avancer d’autres explications. Une de celles-ci tient en une plus grande reconnaissance actuelle des filles comme délinquantes. Autrefois, les filles qui commettaient des délits voyaient leurs actes camouflés au nom de leur statut de « bonne petite fille ». Ainsi, il y avait moins de détection de ces délits. Cette affirmation confirme que les autorités tolèrent moins qu’auparavant les méfaits commis par les filles. Une autre explication sociologique tient aussi au fait que les filles et les femmes prennent aujourd’hui plus part aux activités en dehors de la maison.
On peut relever, dans la littérature scientifique, cinq grands facteurs sociaux de la délinquance et de la criminalité qui jouent, aujourd’hui, autant pour les filles que les garçons :
● Le statut socioéconomique inférieur qui peut engendrer un sentiment d’infériorité et créer chez l’individu le désir de posséder plus.
● L’influence de la bande ou du groupe, l’appartenance à une minorité ethnique qui, bien que moins importante que les autres, montre que le choc des cultures peut expliquer l’activité délictueuse.
● La rencontre amoureuse des filles avec des garçons plus âgés et aux comportements déviants est un facteur favorisant la délinquance et la consommation de substances psychoactives, et montre chez ces dernières une augmentation dans un engagement déviant.
● Le dernier facteur social est la famille. Selon beaucoup d’auteurs, il s’agit d’un facteur clé relié à la délinquance et à la criminalité, lorsque l’on considère notamment que la famille influence considérablement le comportement de l’individu en lui fournissant un ensemble de rôles à suivre. Dans ce cadre, les filles évoquent des situations interpersonnelles difficiles à leurs yeux, comme des conflits avec leurs parents, des deuils, des disputes entre amis et des expériences de victimisation.
Lorsque la situation familiale présente certaines lacunes ou dysfonctionnements, par exemple des problèmes de violence conjugale, on peut observer des comportements violents chez l’enfant. Le rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites et du comportement chez l’enfant et l’adolescent a montré que la violence familiale, vécue pendant l’enfance, lorsqu’elle était suivie de troubles des conduites, avait un effet direct sur la délinquance des filles (INSERM, 2005, p. 92). Selon B. Doyon et M. Bussières, l’influence de la famille est plus forte pour les filles que pour les garçons, les filles seraient plus sensibles aux différents problèmes familiaux, tout particulièrement en ce qui concerne la rupture.
Sur un plan individuel, il existe de fortes corrélations entre la criminalité et l’abus de substances psychoactives aussi bien chez les filles que chez les garçons, et les sociologues ont repéré deux autres facteurs importants que sont l’ajustement émotionnel adéquat, qui, lorsqu’il est défaillant, entraîne une incapacité de s’ajuster aux expériences vécues, et la faiblesse de l’estime de soi. Ainsi soit la personne rencontre trop de frustrations découlant de situations non adaptées à ses besoins, ce qui provoque un déséquilibre important et des réactions désadaptées consécutives, soit le passage à l’acte délictueux peut devenir pour l’individu un moyen pour se valoriser à ses propres yeux comme à son groupe d’appartenance.
Les théories sociologiques décrivent également ce qu’elles appellent des « causes motivantes » qui, lorsqu’elles sont associées à une des causes prédisposantes que nous venons de citer, créent bien souvent de la délinquance ou de la criminalité. Il s’agit de causes motivantes planifiées ou impulsives, les premières ayant comme caractéristiques qu’elles ont un but particulier, précis, qu’elles témoignent d’un délit préparé à l’avance, les autres ont ceci de particulier que les délits qu’elles engendrent répondent à une frustration. L’individu vient de vivre une contrariété et, presque immédiatement, il passe à l’acte. C’est dans ce contexte que la criminologie de l’adolescent situe la majorité des actes commis. Le psychopathologue reconnaîtra là la dynamique adolescente bien repérée et le particularisme de la pensée pubertaire, le rapport à la frustration et les aléas des capacités de symbolisation. Parmi les causes motivantes, on trouve l’insatisfaction face à la situation matérielle, la recherche d’émotions fortes, la fuite d’un état d’ennui ou d’un sentiment d’infériorité, le désir de gratification sexuelle immédiate dans le cas des agressions sexuelles et la revendication d’indépendance.
La spécificité des filles dans l’expression de la violence est sans doute issue, en partie, des conséquences de la construction sociale de la déviance (Picca, 1983, Cusson, 1998) et du caractère stéréotypé de la différence sexuelle : on s’accorde à penser que les garçons vivent plus souvent des expériences de confrontation, de rapport de forces, qu’ils sont éduqués pour être actifs, agressifs et indépendants (Blaya, Debarbieux, Rubi, 2003), et leur opposition aux conventions, aux lois et aux normes conventionnelles est souvent valorisée. À l’inverse, les filles seraient socialisées pour être passives, attentionnées et dépendantes, et devraient faire preuve d’adhésion aux conventions. |
Note de contenu : |
La question de la violence et de la délinquance des filles tient aujourd’hui une part modeste dans les travaux de recherche en criminologie et reste marginale en psychopathologie.
Nous allons présenter les prémices d’une recherche concernant la question de la délinquance des adolescentes, et notamment la place de la violence chez les filles et sa signification psychopathologique. Pouvons-nous, sur le plan clinique, supposer une spécificité de genre, comme certaines des théories criminologiques actuelles le proposent (Blaya, Debarbieux, Rubi, 2003) ? Que peut en dire la psychopathologie ? |
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https://www.jdpsychologues.fr/article/la-delinquance-des-adolescentes-une-violen [...] |
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