[article]
Titre : |
L’art me fait ré-aimer le sport |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Sophie Guillou, Intervieweur ; Xavier de La Porte, Personne interviewée |
Année de publication : |
2011 |
Article en page(s) : |
p. 7 |
Langues : |
Français (fre) |
Mots-clés : |
art contemporain, centre Pompidou, festival Hors piste, France culture, sport, Xavier de la Porte, Zidane |
Note de contenu : |
Depuis une vingtaine d’années, l’univers sportif s’invite de manière récurrente dans des œuvres d’art contemporain. Une présence caractérisée par le décalage, le détournement des codes et le jeu avec les formes. Que nous disent ces représentations de ce qu’est le sport aujourd’hui et de la place qu’il tient dans nos sociétés ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons fait appel à Xavier de la Porte. Producteur à France Culture et auteur de plusieurs ouvrages sur le sport 1, il a notamment participé à la programmation du festival Hors pistes du centre Pompidou, consacré en 2011 aux images du sport.
Les Idées en mouvement : Comment avez-vous choisi les œuvres présentes dans votre programmation du festival Hors pistes ?
Xavier de la Porte : Ce qui m’intéressait, c’est que cette manifestation est en grande partie consacrée à la vidéo. Or aujourd’hui, notre rapport au sport est essentiellement médiatisé par l’image télévisée. L’idée, c’était d’aller chercher dans l’art vidéo ce qui interroge cette représentation du sport tel qu’on a l’habitude de le voir, en le filmant différemment… L’archétype de cette démarche, c’est le Zidane, un portrait du XXIe siècle de Philippe Parreno et Douglas Gordon. Vers la fin de sa carrière, les deux artistes l’ont suivi en temps réel pendant un match du Real Madrid, essentiellement en gros plan. Au-delà de la valeur
esthétique du geste, que sont-ils parvenus à nous dire que la télé ne nous disait pas ? Au moins deux choses : d’une, que Zidane était un être solitaire, peu en lien physiquement et verbalement avec les autres joueurs. De deux, que c’était une vraie teigne ! On est loin de l’image sanctifiée de gentil immigré véhiculée par les médias…
De manière générale, en quoi la vision artistique du sport se démarque-t-elle de la représentation qui en est donnée dans les médias ou la publicité ?
La télévision met en scène une certaine beauté du sport : le corps est magnifié, le geste amplifié par le biais des ralentis, parfois dramatisé par de la musique… L’art va chercher autre chose, une esthétique qui n’est pas issue de ces codes-là. Il peut notamment s’attacher à la beauté des objets : un ballon, un panier de basket, une table de ping-pong… Mais la beauté naît aussi du détournement des règles. Si on y réfléchit, le sport est une activité un peu absurde, où tout le monde se dispute la victoire en obéissant à des codifications totalement arbitraires, qui évoluent d’ailleurs au fil du temps. Et les artistes s’amusent avec cela ! Melik Ohanian a par exemple créé le cosmoball, un jeu de football qui se joue à trois équipes sur un terrain circulaire. Avec cette performance, il amène à se demander : au fond, pourquoi le foot ne se jouerait-il pas comme ça ? Et au-delà, il l’inscrit dans une perspective historique : trois équipes au lieu de deux, cela signe le passage d’un monde bipolaire à un monde multipolaire…
Ces œuvres intègrent souvent une dimension critique du sport…
Oui. Mais ce qui est passionnant avec l’art, c’est sa polysémie, qui lui permet d’aborder ce que la critique sociologique du sport n’arrive pas à toucher. Les discours post-marxistes sont souvent très justes, mais ils évacuent la question du rêve et du fantasme qui restent en chacun de nous. L’art, lui, produit une critique d’autant plus efficace qu’il arrive aussi à rendre compte de la beauté du sport. Quand Stephen Dean projette sur un écran géant des images de tifosi sans montrer rien d’autre que des gros plans de la foule, il compose un très beau tableau en mouvement, une chorégraphie riche en couleurs. Mais dans le même temps, il instille un vrai malaise face à cette foule colorée, mais inquiétante, qui évoque d’autres foules dans l’Histoire. Beaucoup d’œuvres disent ainsi là où il y a beauté et là où elle peut être dangereuse…
Finalement, qu’est-ce que l’art nous dit du sport d’aujourd’hui ?
Il ramène le sport à ce qu’il est : une activité codifiée, contingente, conçue pour s’amuser. En mettant en scène le décalage entre cette réalité et la place démesurée qu’occupe le sport aujourd’hui, l’art nous souffle : arrêtons de prendre cela trop au sérieux ! Il nous permet surtout de résoudre cette schizophrénie à laquelle est confrontée toute personne qui s’intéresse aujourd’hui au sport : comment concilier l’esprit critique avec le nécessaire aveuglement du supporter ? L’art permet tout à la fois de mettre en scène et de résoudre ce conflit. Avec lui, vous pouvez aimer le geste sportif parce qu’il intègre sa propre critique. Au fond, l’art me fait ré-aimer le sport…"
1. La controverse pied/main, prétexte à une logique du football, éditions Ere, 2006 – Le sport par les gestes, avec François Bégaudeau, éditions Calmann-Levy, 2006. |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=95542 |
in Les Idées en mouvement, IEM > 194 (décembre 2011) . - p. 7
[article] L’art me fait ré-aimer le sport [texte imprimé] / Sophie Guillou, Intervieweur ; Xavier de La Porte, Personne interviewée . - 2011 . - p. 7. Langues : Français ( fre) in Les Idées en mouvement, IEM > 194 (décembre 2011) . - p. 7
Mots-clés : |
art contemporain, centre Pompidou, festival Hors piste, France culture, sport, Xavier de la Porte, Zidane |
Note de contenu : |
Depuis une vingtaine d’années, l’univers sportif s’invite de manière récurrente dans des œuvres d’art contemporain. Une présence caractérisée par le décalage, le détournement des codes et le jeu avec les formes. Que nous disent ces représentations de ce qu’est le sport aujourd’hui et de la place qu’il tient dans nos sociétés ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons fait appel à Xavier de la Porte. Producteur à France Culture et auteur de plusieurs ouvrages sur le sport 1, il a notamment participé à la programmation du festival Hors pistes du centre Pompidou, consacré en 2011 aux images du sport.
Les Idées en mouvement : Comment avez-vous choisi les œuvres présentes dans votre programmation du festival Hors pistes ?
Xavier de la Porte : Ce qui m’intéressait, c’est que cette manifestation est en grande partie consacrée à la vidéo. Or aujourd’hui, notre rapport au sport est essentiellement médiatisé par l’image télévisée. L’idée, c’était d’aller chercher dans l’art vidéo ce qui interroge cette représentation du sport tel qu’on a l’habitude de le voir, en le filmant différemment… L’archétype de cette démarche, c’est le Zidane, un portrait du XXIe siècle de Philippe Parreno et Douglas Gordon. Vers la fin de sa carrière, les deux artistes l’ont suivi en temps réel pendant un match du Real Madrid, essentiellement en gros plan. Au-delà de la valeur
esthétique du geste, que sont-ils parvenus à nous dire que la télé ne nous disait pas ? Au moins deux choses : d’une, que Zidane était un être solitaire, peu en lien physiquement et verbalement avec les autres joueurs. De deux, que c’était une vraie teigne ! On est loin de l’image sanctifiée de gentil immigré véhiculée par les médias…
De manière générale, en quoi la vision artistique du sport se démarque-t-elle de la représentation qui en est donnée dans les médias ou la publicité ?
La télévision met en scène une certaine beauté du sport : le corps est magnifié, le geste amplifié par le biais des ralentis, parfois dramatisé par de la musique… L’art va chercher autre chose, une esthétique qui n’est pas issue de ces codes-là. Il peut notamment s’attacher à la beauté des objets : un ballon, un panier de basket, une table de ping-pong… Mais la beauté naît aussi du détournement des règles. Si on y réfléchit, le sport est une activité un peu absurde, où tout le monde se dispute la victoire en obéissant à des codifications totalement arbitraires, qui évoluent d’ailleurs au fil du temps. Et les artistes s’amusent avec cela ! Melik Ohanian a par exemple créé le cosmoball, un jeu de football qui se joue à trois équipes sur un terrain circulaire. Avec cette performance, il amène à se demander : au fond, pourquoi le foot ne se jouerait-il pas comme ça ? Et au-delà, il l’inscrit dans une perspective historique : trois équipes au lieu de deux, cela signe le passage d’un monde bipolaire à un monde multipolaire…
Ces œuvres intègrent souvent une dimension critique du sport…
Oui. Mais ce qui est passionnant avec l’art, c’est sa polysémie, qui lui permet d’aborder ce que la critique sociologique du sport n’arrive pas à toucher. Les discours post-marxistes sont souvent très justes, mais ils évacuent la question du rêve et du fantasme qui restent en chacun de nous. L’art, lui, produit une critique d’autant plus efficace qu’il arrive aussi à rendre compte de la beauté du sport. Quand Stephen Dean projette sur un écran géant des images de tifosi sans montrer rien d’autre que des gros plans de la foule, il compose un très beau tableau en mouvement, une chorégraphie riche en couleurs. Mais dans le même temps, il instille un vrai malaise face à cette foule colorée, mais inquiétante, qui évoque d’autres foules dans l’Histoire. Beaucoup d’œuvres disent ainsi là où il y a beauté et là où elle peut être dangereuse…
Finalement, qu’est-ce que l’art nous dit du sport d’aujourd’hui ?
Il ramène le sport à ce qu’il est : une activité codifiée, contingente, conçue pour s’amuser. En mettant en scène le décalage entre cette réalité et la place démesurée qu’occupe le sport aujourd’hui, l’art nous souffle : arrêtons de prendre cela trop au sérieux ! Il nous permet surtout de résoudre cette schizophrénie à laquelle est confrontée toute personne qui s’intéresse aujourd’hui au sport : comment concilier l’esprit critique avec le nécessaire aveuglement du supporter ? L’art permet tout à la fois de mettre en scène et de résoudre ce conflit. Avec lui, vous pouvez aimer le geste sportif parce qu’il intègre sa propre critique. Au fond, l’art me fait ré-aimer le sport…"
1. La controverse pied/main, prétexte à une logique du football, éditions Ere, 2006 – Le sport par les gestes, avec François Bégaudeau, éditions Calmann-Levy, 2006. |
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