[n° ou bulletin]
Titre : |
139 - 2006/2 - Territoires des enfants |
Type de document : |
document électronique |
Auteurs : |
Julie Delalande (1967-...) , Auteur |
Année de publication : |
2009 |
Importance : |
134 p. |
Langues : |
Français (fre) |
Mots-clés : |
sociologie enfance jeu aménagement espace territoire acteur appropriation ludothèque ludothèques espaces territoires |
Résumé : |
Que vivent les enfants ? Que sait-on de ce qu’ils se racontent entre camarades, de ce qu’ils partagent entre frères et sœurs, des histoires qu’ils inventent dans leurs jeux et de leur manière de créer une amitié ou de tomber amoureux ?
2
Nous savons surtout ce qu’ils veulent bien nous laisser voir et connaissons une dimension de leur expérience quotidienne, celle que nous partageons avec eux. Nous fondons souvent notre représentation de leur vie quotidienne sur nos propres souvenirs d’enfance qui, au fil du temps, ont sélectionné les bons ou les mauvais moments en omettant l’ordinaire.
3
Nous souhaiterions, par ce numéro, éclairer un peu la manière dont les enfants conjuguent les temps pris en charge par un adulte et les moments qui leur appartiennent davantage, comment ils « bricolent » des liens entre les séquences éducatives et leurs territoires. Par des descriptions et cheminements d’un lieu à l’autre, nous voudrions aussi nous interroger sur la place que nous nous donnons dans leur socialisation. Enfin, ce numéro voudrait faire réfléchir chacun de nous sur sa relation aux enfants. Il voudrait aussi contribuer à ouvrir notre regard et à nous révéler la richesse de leur relation au monde.
4
Dans cette introduction, nous souhaitons d’abord expliciter l’idée sous-entendue par l’expression « territoires des enfants ». Quel sens lui attribuer ? Quel enjeu de recherche y voir ? Nous devons ensuite préciser quelle est la population visée par ce numéro en présentant la tranche d’âge dont il sera question et en expliquant le choix que cette délimitation implique. Après la question du vocabulaire, il faudra élucider le champ de recherche que celui-ci représente, en donnant quelques repères au lecteur sur l’enjeu que suppose la construction d’une socio-anthropologie de l’enfance. Ces points d’introduction permettront finalement de montrer comment les auteurs de ce numéro contribuent non seulement à débroussailler les questions posées plus haut, mais aussi à faire mûrir un champ de recherche encore en construction.
5
Le terme de territoires, associé à celui d’enfants, nécessite quelques explications. Selon le Dictionnaire des notions philosophiques (1990), il s’agit d’une « notion en chantier » qui suppose une réélaboration par les géographes de son lien traditionnel avec le politique (le territoire est la localisation d’un effet de pouvoir) et une intégration des acquis des différentes disciplines s’y intéressant. Elle est en effet un objet d’étude important en éthologie depuis les années 1920, en géographie surtout depuis les années 1990, ainsi qu’en anthropologie plus intensément depuis 1970. Le Dictionnaire des sciences humaines (2004) la définit comme une « portion d’espace que les hommes s’approprient par la force, à travers leurs activités et leur imaginaire ». Les anthropologues insistent sur le processus de transformation de la nature par l’homme, ainsi que sur le « processus de territorialisation d’une culture, son ancrage sur le sol » (Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 1991), car à ces terres sont associés des idées, des valeurs et des ancêtres, si bien que le territoire est « le produit d’un système de représentations » (ibid.).
6
Associé aux enfants, la notion prend une dimension particulière, au moins à double titre. Tout d’abord, il est difficile de parler d’une appropriation de territoires par des enfants, car ceux-ci sont sous la dépendance d’adultes qui leur concèdent ou leur dédient des espaces. Deuxièmement, les enfants ne forment pas un peuple avec une conscience politique, des traditions qu’ils revendiquent et des ancêtres auxquels ils se réfèrent, qui pourraient s’inscrirent sur un territoire fondateur de leur identité. Même leur patrimoine culturel, ou tout au moins ludique, n’en est un qu’aux yeux des folkloristes du xixe siècle ou des ethnologues contemporains qui s’appliquent à recueillir leurs comptines et formulettes. Mais aux yeux des enfants, un jeu est nouveau quand ils le découvrent et il n’est plus digne d’être pratiqué quand ils grandissent et que celui-ci devient un « jeu de bébé » (Delalande, 2001, p. 242).
7
Pour autant, les enfants s’approprient les lieux que leur destinent les adultes, tels que leur chambre à coucher et leur cour de récréation. Même s’ils n’en ont pas la propriété juridique (elle est le fait des adultes responsables d’eux), ils décorent leur chambre, y jouent à l’abri du regard des adultes, voire y mettent leur empreinte en griffonnant sur le papier peint ou en en arrachant un petit coin ; ils investissent à quelques camarades certains espaces de la cour plus que d’autres en fonction des jeux qu’ils y pratiquent quotidiennement et s’approprient ces lieux en relation avec les activités qu’ils y mènent. Ils développent donc dans ces espaces et dans d’autres des pratiques culturelles qui, sans doute, auraient du mal à exister et à se transmettre si aucun lieu n’était « prêté » aux enfants, car comme les anthropologues l’ont montré, un territoire est le lieu d’inscription d’une culture. Sur l’appropriation du lieu « par la force », telle que le dit la définition du dictionnaire des sciences humaines précité, remarquons que le refoulement plus ou moins agressif des personnes étrangères au territoire peut être plus virulent envers les pairs en concurrence sur cet espace (frères et sœurs qui s’introduiraient dans la chambre, camarades d’école non acceptés dans le groupe de joueurs à la récréation) qu’envers les adultes qui, de fait, ont consenti à leur céder quelques « jardins secrets », sous condition toutefois. |
En ligne : |
https://www-cairn-info.proxy.scd.univ-tours.fr/revue-les-sciences-de-l-education [...] |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=50673 |
[n° ou bulletin]
139 - 2006/2 - Territoires des enfants [document électronique] / Julie Delalande (1967-...)  , Auteur . - 2009 . - 134 p. Langues : Français ( fre)
Mots-clés : |
sociologie enfance jeu aménagement espace territoire acteur appropriation ludothèque ludothèques espaces territoires |
Résumé : |
Que vivent les enfants ? Que sait-on de ce qu’ils se racontent entre camarades, de ce qu’ils partagent entre frères et sœurs, des histoires qu’ils inventent dans leurs jeux et de leur manière de créer une amitié ou de tomber amoureux ?
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Nous savons surtout ce qu’ils veulent bien nous laisser voir et connaissons une dimension de leur expérience quotidienne, celle que nous partageons avec eux. Nous fondons souvent notre représentation de leur vie quotidienne sur nos propres souvenirs d’enfance qui, au fil du temps, ont sélectionné les bons ou les mauvais moments en omettant l’ordinaire.
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Nous souhaiterions, par ce numéro, éclairer un peu la manière dont les enfants conjuguent les temps pris en charge par un adulte et les moments qui leur appartiennent davantage, comment ils « bricolent » des liens entre les séquences éducatives et leurs territoires. Par des descriptions et cheminements d’un lieu à l’autre, nous voudrions aussi nous interroger sur la place que nous nous donnons dans leur socialisation. Enfin, ce numéro voudrait faire réfléchir chacun de nous sur sa relation aux enfants. Il voudrait aussi contribuer à ouvrir notre regard et à nous révéler la richesse de leur relation au monde.
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Dans cette introduction, nous souhaitons d’abord expliciter l’idée sous-entendue par l’expression « territoires des enfants ». Quel sens lui attribuer ? Quel enjeu de recherche y voir ? Nous devons ensuite préciser quelle est la population visée par ce numéro en présentant la tranche d’âge dont il sera question et en expliquant le choix que cette délimitation implique. Après la question du vocabulaire, il faudra élucider le champ de recherche que celui-ci représente, en donnant quelques repères au lecteur sur l’enjeu que suppose la construction d’une socio-anthropologie de l’enfance. Ces points d’introduction permettront finalement de montrer comment les auteurs de ce numéro contribuent non seulement à débroussailler les questions posées plus haut, mais aussi à faire mûrir un champ de recherche encore en construction.
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Le terme de territoires, associé à celui d’enfants, nécessite quelques explications. Selon le Dictionnaire des notions philosophiques (1990), il s’agit d’une « notion en chantier » qui suppose une réélaboration par les géographes de son lien traditionnel avec le politique (le territoire est la localisation d’un effet de pouvoir) et une intégration des acquis des différentes disciplines s’y intéressant. Elle est en effet un objet d’étude important en éthologie depuis les années 1920, en géographie surtout depuis les années 1990, ainsi qu’en anthropologie plus intensément depuis 1970. Le Dictionnaire des sciences humaines (2004) la définit comme une « portion d’espace que les hommes s’approprient par la force, à travers leurs activités et leur imaginaire ». Les anthropologues insistent sur le processus de transformation de la nature par l’homme, ainsi que sur le « processus de territorialisation d’une culture, son ancrage sur le sol » (Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 1991), car à ces terres sont associés des idées, des valeurs et des ancêtres, si bien que le territoire est « le produit d’un système de représentations » (ibid.).
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Associé aux enfants, la notion prend une dimension particulière, au moins à double titre. Tout d’abord, il est difficile de parler d’une appropriation de territoires par des enfants, car ceux-ci sont sous la dépendance d’adultes qui leur concèdent ou leur dédient des espaces. Deuxièmement, les enfants ne forment pas un peuple avec une conscience politique, des traditions qu’ils revendiquent et des ancêtres auxquels ils se réfèrent, qui pourraient s’inscrirent sur un territoire fondateur de leur identité. Même leur patrimoine culturel, ou tout au moins ludique, n’en est un qu’aux yeux des folkloristes du xixe siècle ou des ethnologues contemporains qui s’appliquent à recueillir leurs comptines et formulettes. Mais aux yeux des enfants, un jeu est nouveau quand ils le découvrent et il n’est plus digne d’être pratiqué quand ils grandissent et que celui-ci devient un « jeu de bébé » (Delalande, 2001, p. 242).
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Pour autant, les enfants s’approprient les lieux que leur destinent les adultes, tels que leur chambre à coucher et leur cour de récréation. Même s’ils n’en ont pas la propriété juridique (elle est le fait des adultes responsables d’eux), ils décorent leur chambre, y jouent à l’abri du regard des adultes, voire y mettent leur empreinte en griffonnant sur le papier peint ou en en arrachant un petit coin ; ils investissent à quelques camarades certains espaces de la cour plus que d’autres en fonction des jeux qu’ils y pratiquent quotidiennement et s’approprient ces lieux en relation avec les activités qu’ils y mènent. Ils développent donc dans ces espaces et dans d’autres des pratiques culturelles qui, sans doute, auraient du mal à exister et à se transmettre si aucun lieu n’était « prêté » aux enfants, car comme les anthropologues l’ont montré, un territoire est le lieu d’inscription d’une culture. Sur l’appropriation du lieu « par la force », telle que le dit la définition du dictionnaire des sciences humaines précité, remarquons que le refoulement plus ou moins agressif des personnes étrangères au territoire peut être plus virulent envers les pairs en concurrence sur cet espace (frères et sœurs qui s’introduiraient dans la chambre, camarades d’école non acceptés dans le groupe de joueurs à la récréation) qu’envers les adultes qui, de fait, ont consenti à leur céder quelques « jardins secrets », sous condition toutefois. |
En ligne : |
https://www-cairn-info.proxy.scd.univ-tours.fr/revue-les-sciences-de-l-education [...] |
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