[n° ou bulletin]
| Titre : |
n°77 - mars 2022 - Braconnages bibliographiques. Le travailleur social et la lecture |
| Type de document : |
texte imprimé |
| Auteurs : |
Léo Lebrun, Editeur scientifique |
| Année de publication : |
2022 |
| Langues : |
Français (fre) |
| Résumé : |
Les statistiques d’emprunt des Centres de ressources documentaires des écoles de travail social révèlent une troublante permanence.
« Le travail en équipe », « De l’éducation spécialisée », « Méthodologie de l’intervention en travail social », « Les corridors du
quotidien », « Jeu et Réalité », « J’ai mal à ma mère » : les documents qui sont le plus empruntés sont très souvent les mêmes. Ces
titres sont aussi ceux que l’on retrouve le plus souvent dans les bibliographies proposées par les formateurs. Winnicott, Dolto et
David font figure d’« incontournables » chez les éducateurs de jeunes enfants comme le sont Freud, Gabéran et Rouzel chez les
éducateurs spécialisés.
Mais que se cache-t-il derrière cette apparente homogénéité ?
Michel de Certeau (1990) fut le premier à écrire à propos des « ruses anonymes des arts de faire » (p. 347). Il considérait que lire était
un « braconnage », une activité où le lecteur, loin d’être passif, avait un rôle primordial d’élaboration. Il avançait l’idée que les textes
pourraient n’être que des « réserve(s) de formes qui attendent du lecteur leur sens. » (Ibid.) Mais alors... quel braconnier est le
travailleur social ? Qu’a-t-il accroché à son tableau de chasse et comment chasse-t-il ?
Si les textes sont des proies, les livres sont probablement les rois de la savane. Objets « sacrés » à la puissance symbolique considérable,
ils sont aussi révérés que craints et continuent, malgré le développement du numérique, de faire autorité. Tout en haut des
bibliographies, les livres qu’il faut avoir lus sont là, sans que l’on sache toujours quel usage l’écrivant a pu en faire. Si l’on s’y intéresse,
il est possible qu’il soit encore question de braconnage ou tout du moins du bricolage inhérent à toute « pensée sauvage » (Lévi-
Strauss, 1962).
Sans faire abstraction de ces « petits tyrans pétris de bonnes intentions déguisées en méchants modestes » (Messinger et Messinger,
2007) que sont les « incontournables », notre intérêt se porte aussi vers ces textes rarement évoqués qui composent des pôles
d’influence du rhizome littéraire du travailleur social. Braconnant à nouveau de Certeau et paraphrasant l’anthropologue Michelle
Petit (2016), nous nous demandons quelles sont ces « réserves de formes » qui ont permis au travailleur de « retrouver (leur) fantaisie
inventive » (ibid.) et de construire du sens ? Romans, mangas, poèmes, aphorismes ou écrits politiques et militants : quels sont ces
textes lus dans le texte ou fréquentés qui ont permis au travailleur social d’hybrider ses réserves de formes pour écrire et penser ?
Sans nous limiter au « livre », nous souhaitons le convoquer afin d’interroger sa place dans la culture du travailleur social. C’est
d’ailleurs moins du livre que de livres et de leurs cousins moins « légitimes » dont ce numéro fait l’objet. Nous nous intéressons ainsi
autant à l’objet qu’à son usage. Entre hybridation et ruse, comment et avec quoi le travailleur social construit-il sa « culture » (1) ?
(1) Le mot culture est ici considéré volontairement par « le petit bout de la lorgnette ». Il fait écho au mot anglais literacy utilisé par
Hoggart (1970). Originellement The uses of literacy. Aspects of working-class Life fut traduit par Passeron (1970) en La culture du pauvre,
ôtant ainsi la référence explicite à l’écriture contenue dans l’origine latine du mot (literatura). Le terme francisé de littéracie est
aujourd’hui fréquemment utilisé dans les sciences sociales.
Certeau, Michel De, L’invention du quotidien, tome 1 : arts de faire, Paris, Gallimard.
Hoggart, Richard et Passeron, Jean-Claude. La culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.
Lévi-Strauss, Claude. La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
Messinger, Joseph et Messinger, Caroline, Ces mots qui vous trahissent, First Éditions. 2007.
Petit, Michèle, Éloge de la lecture : La construction de soi, Paris, Belin, 2016 |
| En ligne : |
https://www-cairn-info.proxy.scd.univ-tours.fr/revue-sociographe-2022-1.htm |
| Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=61711 |
[n° ou bulletin]
n°77 - mars 2022 - Braconnages bibliographiques. Le travailleur social et la lecture [texte imprimé] / Léo Lebrun, Editeur scientifique . - 2022. Langues : Français ( fre)
| Résumé : |
Les statistiques d’emprunt des Centres de ressources documentaires des écoles de travail social révèlent une troublante permanence.
« Le travail en équipe », « De l’éducation spécialisée », « Méthodologie de l’intervention en travail social », « Les corridors du
quotidien », « Jeu et Réalité », « J’ai mal à ma mère » : les documents qui sont le plus empruntés sont très souvent les mêmes. Ces
titres sont aussi ceux que l’on retrouve le plus souvent dans les bibliographies proposées par les formateurs. Winnicott, Dolto et
David font figure d’« incontournables » chez les éducateurs de jeunes enfants comme le sont Freud, Gabéran et Rouzel chez les
éducateurs spécialisés.
Mais que se cache-t-il derrière cette apparente homogénéité ?
Michel de Certeau (1990) fut le premier à écrire à propos des « ruses anonymes des arts de faire » (p. 347). Il considérait que lire était
un « braconnage », une activité où le lecteur, loin d’être passif, avait un rôle primordial d’élaboration. Il avançait l’idée que les textes
pourraient n’être que des « réserve(s) de formes qui attendent du lecteur leur sens. » (Ibid.) Mais alors... quel braconnier est le
travailleur social ? Qu’a-t-il accroché à son tableau de chasse et comment chasse-t-il ?
Si les textes sont des proies, les livres sont probablement les rois de la savane. Objets « sacrés » à la puissance symbolique considérable,
ils sont aussi révérés que craints et continuent, malgré le développement du numérique, de faire autorité. Tout en haut des
bibliographies, les livres qu’il faut avoir lus sont là, sans que l’on sache toujours quel usage l’écrivant a pu en faire. Si l’on s’y intéresse,
il est possible qu’il soit encore question de braconnage ou tout du moins du bricolage inhérent à toute « pensée sauvage » (Lévi-
Strauss, 1962).
Sans faire abstraction de ces « petits tyrans pétris de bonnes intentions déguisées en méchants modestes » (Messinger et Messinger,
2007) que sont les « incontournables », notre intérêt se porte aussi vers ces textes rarement évoqués qui composent des pôles
d’influence du rhizome littéraire du travailleur social. Braconnant à nouveau de Certeau et paraphrasant l’anthropologue Michelle
Petit (2016), nous nous demandons quelles sont ces « réserves de formes » qui ont permis au travailleur de « retrouver (leur) fantaisie
inventive » (ibid.) et de construire du sens ? Romans, mangas, poèmes, aphorismes ou écrits politiques et militants : quels sont ces
textes lus dans le texte ou fréquentés qui ont permis au travailleur social d’hybrider ses réserves de formes pour écrire et penser ?
Sans nous limiter au « livre », nous souhaitons le convoquer afin d’interroger sa place dans la culture du travailleur social. C’est
d’ailleurs moins du livre que de livres et de leurs cousins moins « légitimes » dont ce numéro fait l’objet. Nous nous intéressons ainsi
autant à l’objet qu’à son usage. Entre hybridation et ruse, comment et avec quoi le travailleur social construit-il sa « culture » (1) ?
(1) Le mot culture est ici considéré volontairement par « le petit bout de la lorgnette ». Il fait écho au mot anglais literacy utilisé par
Hoggart (1970). Originellement The uses of literacy. Aspects of working-class Life fut traduit par Passeron (1970) en La culture du pauvre,
ôtant ainsi la référence explicite à l’écriture contenue dans l’origine latine du mot (literatura). Le terme francisé de littéracie est
aujourd’hui fréquemment utilisé dans les sciences sociales.
Certeau, Michel De, L’invention du quotidien, tome 1 : arts de faire, Paris, Gallimard.
Hoggart, Richard et Passeron, Jean-Claude. La culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.
Lévi-Strauss, Claude. La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
Messinger, Joseph et Messinger, Caroline, Ces mots qui vous trahissent, First Éditions. 2007.
Petit, Michèle, Éloge de la lecture : La construction de soi, Paris, Belin, 2016 |
| En ligne : |
https://www-cairn-info.proxy.scd.univ-tours.fr/revue-sociographe-2022-1.htm |
| Permalink : |
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