Titre : |
Education populaire & féminisme : récits d'un combat (trop) ordinaire : analyses et stratégies pour l'égalité |
Type de document : |
texte imprimé |
Editeur : |
Editions La grenaille |
Année de publication : |
2016 |
Importance : |
395 p. |
ISBN/ISSN/EAN : |
978-2-9556178-0-9 |
Note générale : |
"Partie 1
On peut se demander pourquoi vous appelez toujours votre livre une « brochure » ?
- Initialement l’intention était une brochure. Pendant 3 ans, dans le comité de rédaction, on en a parlé avec ce mot et on n’arrive pas à en décoller. La brochure faisait partie d’une liste parmi d’autres résolutions. On voyait la brochure un peu comme un fanzine : un truc chiadé mais moins long, dans les 15-20 pages. Il s’agissait de mettre par écrit l’exposé qui avait été fait à l’Université d’été et aussi de témoigner du fait qu’on n’avait pas, en tant que réseau, sanctionné l’agression sexuelle que l’une d’entre nous avait subie. Et on s’était rendu compte que dans d’autres milieux militants ça avait été tu de la même façon !
- On avait toutes l’intuition qu’effectivement cette agression sexuelle était un analyseur, avec la conviction que l’intime est politique. Mais en créant les condition d’une parole non-mixte, chaque sous thème de rapports sociaux tels que présents dans le réseau s’est épaissi avec une quantité de vécu : chaque témoignage de l’une faisait écho pour d’autres et pouvait lancer un cycle de 2 heures de recueil de faits, tous plus saillants ; avec des faits d’humiliation sexiste mais aussi d’humiliation classiste, d’humiliation dans le rapport au savoir, le rapport à la visibilité médiatique ; plein de formes de domination très imbriquées qui traversaient le réseau et qui n’avaient jamais été travaillées en tant que telles. C’est là que j’ai découvert vraiment l’ampleur, qu’il y a vraiment un tout et que c’est une guerre ! On aurait pu passer 2 ans de plus et on aurait trouvé à décrire encore plus de choses. C’est en ça que le fanzine est devenu un peu plus … épais. [rires]
- Lorsqu’on a commencé à parler des agressions sexuelles et d’un texte qui disait qu’on ne les qualifiait jamais en ces termes, on s’est rendu compte petit à petit que toutes les femmes du réseau en avaient subies à un moment de leur vie. On a fait sortir des témoignages.
C’est comme ça que je me représente « l’action-recherche » en éducation populaire.
- Le travail qu’on a fait dans le réseau, il avait déjà été fait ailleurs par des féministes. Mais quand on a cherché des descriptions, des récits, on s’est aperçue qu’il n’y en avait pas tant que ça. Notre brochure est donc une petite pierre pour que d’autres femmes puissent profiter de notre expérience et de certaines approches qui ont été essayées dans cette lutte. On veut que ça puisse servir à d’autres.
Vous utilisez la formule « faire classe », quel sens y mettez-vous ?
- J’aime bien la distinction marxiste entre « classe en soi » et « classe pour soi », qui est aussi reprise par les féministes matérialistes. J’ai l’impression d’avoir beaucoup vécu la « classe en soi » à plein de moments où on s’est retrouvé en temps de non-mixité par besoin : typiquement, le groupe sur le « projet politique » c’était ça. Et puis, il y a un basculement sur « classe pour soi », quand on commence à décider de la non-mixité et quand on commence à organiser du droit, en formalisant notre démarche. Et on voit les foudres tomber quand on commence à aller sur « classe pour soi » et quand on décide de devenir vraiment sujettes. Je trouve cette distinction marxiste assez parlante dans ce qu’on a vécu. Elle s’est bien incarnée sur la chronologie des faits je trouve : il y a eu plein de moments intuitifs collectifs, et puis il y a eu un basculement quand on a vraiment commencé à s’organiser.
- Ce qui m’a marquée dans « faire classe », ce sont nos temps informels pour se raconter et aussi pour se soutenir, pour faire corps et front. De toute façon il fallait faire du rapport de force. C’était bizarre parce qu’on avait un enjeu à faire passer nos analyses, et certaines se prenaient des attaques assez fortes, mais en même temps on passait des moments collectifs mixtes joyeux. Dans le « faire classe », il y a l’idée que j’appartenais à quelque chose.
- On était déjà féministes au départ, mais c’est cette expérience commune en non-mixité de femmes, avec nos témoignages incarnés, qui nous a permis de comprendre comment on avait du vécu commun. Petit à petit, on se rendait compte qu’on avait une grille d’analyse qui nous permettait de nous dire que les questions n’étaient pas individuelles : « c’est pas moi toute seule qui suis à vouloir trop préparer les interventions, qui suis trop angoissée, etc. ». On vit toutes la même chose. Le vécu commun constituait petit à petit le fait qu’on appartenait à une même classe.
Avec ma reprise d’études, je constate que, y compris au sein de l’université-de-gauche-sociocritique, le concept de classe n’est plus très porté, et en particulier celui de « classe de sexe ». C’est un nœud à démêler. Oui, évidemment, on s’est sentie divisées à l’intérieur de notre groupe [2] ; mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas « classe des femmes ». Aujourd’hui, c’est comme si on cherchait à détruire la notion de classe de femmes, alors qu’elle est essentielle. On sait que la classe des femmes est hétérogène, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de classe. Penser autrement est vraiment dangereux.
Et toutes ces analyses qui ne veulent pas de classes sociales se retournent finalement contre nous et (re)confortent les dominants. La classe, on l’a expérimentée du fait de nos vécus communs, et de notre organisation collective. Et plus on discute des suites de la brochure et des désaccords entre nous, plus je me dis que le concept de classe est important, car ce dont je me rends compte c’est que la division entre nous provient aussi des hommes en tant que classe. Se pencher là-dessus pourrait être les poursuites de notre groupe non-mixte.
Les hommes tirent des ficelles sur d’autres thématiques pour détourner du féminisme ?
Pas que. D’un côté en effet il y a notre hétérogénéité de classe (différentes trajectoires sociales, des statuts différents au sein du réseau, etc.), mais il y a aussi plein de divisions entre femmes qu’on n’a pas eu le temps de décortiquer qui sont liées à des prises de positions ou non d’hommes, visibles ou invisibles. Il y a eu des alliances d’hommes et des actes d’hommes qui ont donné de la division entre femmes.
Tous les trucs de « complot », de « putsch » ont écarté des femmes de notre travail, alors qu’elles avaient beaucoup de choses à dire sur le réseau ou sur leurs vies.
Quand vous vouliez que les hommes travaillent sur leurs privilèges, était-ce avec cette idée qu’ils prennent conscience de leur position de domination ? Comment aviez-vous envie que ce soit travaillé ? Et pourquoi ça n’a pas été travaillé d’après vous ?
- [rires] Vu qu’on est un groupe non-mixte-femmes, de fait il y a eu un groupe non-mixte d’hommes pendant l’Université d’été. Ils se sont réunis, ils ont fait un petit cercle et ça a été une catastrophe apparemment. Une catastrophe parce que plusieurs ne se sentaient pas dans l’existence d’un groupe non-mixte hommes. Déjà, tous n’étaient pas là, et ils n’avaient pas le même désir derrière. Je n’arrive pas à mesurer quel a été le travail individuel. Après cette classe d’hommes, elle n’est pas homogène non plus, on l’a analysé…
- On voulait pousser les hommes à travailler mais il y a eu un refus de prise en charge collective, avec du déni et des prétextes comme : « On n’est pas concernés », « Je ne m’y retrouve pas du tout », ou encore « Moi, je suis pas trop mal, j’ai pris conscience et je vais continuer ; mais avec les autres, c’est trop dur ». Ceux qui auraient peut-être pu prendre en charge leur classe, s’astreindre à de la réflexivité, se remettre en question et faire de la pédagogie, ils n’ont pas voulu le faire. L’ensemble du boulot qui a été fait, ce sont des femmes qui l’ont porté, partout, tout le temps. Il y a eu vraiment une grosse opposition à mettre en travail les privilèges masculins. Le fait de dévoiler comment les hommes font classe pour augmenter leurs capitaux et assurer leurs privilèges a été une des causes de répression très forte. Autant la notion même de privilèges dans le rapport social capitaliste est actée, autant les privilèges dans le rapport social patriarcal sont mis en doute. Rien que le terme, il a été refusé totalement.
- Ce que j’attendais certainement sur cette question des privilèges, c’était de l’ordre au moins d’une conscience collective et des modifications visibles des pratiques professionnelles – dans le rapport aux stagiaires ou dans les co-animation homme-femme. C’était tellement flagrant ! Cela aurait été un premier pas déjà. Mais comme de toute façon pour certains, notre analyse était insupportable dès le départ, ça l’est devenu forcément beaucoup plus à mesure qu’on travaillait. Certains hommes ont décidé d’abdiquer et de partir en disant que ce n’était pas possible de remettre en question ses privilèges, et que c’était insupportable pour eux d’être jugé sur son côté dominant et réac’. Alors concrètement, il n’y a rien eu de travaillé ; peut-être à la marge seulement : des changements de discours et des attentions, des vigilances, mais rien dans les pratiques de fond.
- En fait tout ce qu’on a gagné – en « prendre moins dans la gueule », se faire moins couper la parole, qu’ils accaparent moins l’espace sans se poser de questions – c’est seulement avec le rapport de force qu’on l’a obtenu. Et la continuité de notre groupe est la seule chose qui garantit de contenir tout ça.
Je ne sais pas si on attendait quelque chose de ce travail de remise en question des privilèges. On voulait surtout s’occuper de nous et travailler pour les femmes. Il y avait une nécessité à fabriquer de la protection sociale, on a donc créé du « droit féministe » au sein du réseau sur les conditions de travail, sur les conditions matérielles de subsistances et sur le fond politique. Ce travail sur les privilèges a été une piste lancée comme ça. Et on n’allait pas faire le travail à leur place en plus.
- Après il y a eu du soutien ; je dirai qu’il y a individuellement de l’alliance proféministe dans des espaces intimes, mais pas avec une parole d’interpellation des autres hommes. En tous cas, à l’échelle du réseau, tout ce qui demande à se départir de privilèges ou à assumer du travail, et bien pour moi il n’y a rien, sauf peut-être quand on envoie un collègue au front pour « gérer » les « gros virils ».
- Moi je n’attendais rien d’eux parce que tout de suite je me suis dit c’était simplement des patrons dans un autre rapport social. Je n’attendais pas d’eux qu’ils changent. Par contre je ne m’attendais pas à ce qu’ils détériorent autant nos rapports. C’était un peu naïf de ma part : j’ai subi comme toutes les femmes du collectif la détérioration patente et violente de nos rapports.
- Pour ne pas travailler leurs privilèges, certains hommes – en particulier ceux du Pavé – ont nié le désaccord politique. C’est une stratégie hyper forte, car elle autorise à traiter l’auto-dissolution du Pavé comme un « divorce », c’est à dire à rester dans le registre psychologique, conjugal ou familial, alors même que notre brochure vient analyser politiquement le conflit et les divergences d’orientation dans l’éducation populaire. Bien sûr, à partir du moment où il y a un déni de la dimension politique du désaccord, on ne peut pas rentrer dans un débat." Suite en hyperlien |
Catégories : |
F POPULATIONS - ETUDES DE CAS
|
Mots-clés : |
Éducation populaire -- Femmes -- Scop Féminisme éducation -- France agression sexuelle coopérative |
Index. décimale : |
F-11 Femme |
Résumé : |
4ème de couv. : "Ouvrage écrit par 11 femmes qui ne sont ni écrivaines, ni spécialistes, ni universitaires et qui dans ce travail d’écriture collective ont été tout ça à la fois. Elles ont en commun de travailler dans un réseau d’éducation populaire. Ce réseau d’éducation populaire se revendique en résistance contre toute forme de domination (sexisme, racisme, classicisme), propose des formations afin de se réapproprier collectivement le politique, mais comme bien d’autres organisations n’a pas été capable de penser ces questions en interne. Un réseau qui se découvre traversé par le sexisme et le patriarcat. Un réseau qui hiérarchise les luttes.Le déclencheur, c’est l’agression sexuelle d’une d’entre elles par un homme de ce réseau. Cet ouvrage relate le vécu des femmes de ce réseau, les enseignements et les pistes stratégiques qu’elles ont mises en œuvre. Conscientes de la banalité de ces situations, elles ont par cet ouvrage, souhaité rendre visible les mécanismes à l’œuvre, les stratégies qu’elles ont élaborées et leurs tentatives de fabrication de droits en interne. Une histoire d’éducation populaire, une histoire de paires qui se reconnaissent divisées mais choisissent de faire classe et qui en se parlant, comprennent et analysent leurs situations communes. Elles ont écrit pour que leurs réflexions et perspectives d’actions puissent faire échos ailleurs à d’autres histoires et alimenter d’autres aventures collectives et luttes en cours. |
Note de contenu : |
Bibliogr. p. 191-208. Filmogr. 209-211 |
En ligne : |
http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire,1861 |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=242 |
Education populaire & féminisme : récits d'un combat (trop) ordinaire : analyses et stratégies pour l'égalité [texte imprimé] . - [S.l.] : Editions La grenaille, 2016 . - 395 p. ISBN : 978-2-9556178-0-9 "Partie 1
On peut se demander pourquoi vous appelez toujours votre livre une « brochure » ?
- Initialement l’intention était une brochure. Pendant 3 ans, dans le comité de rédaction, on en a parlé avec ce mot et on n’arrive pas à en décoller. La brochure faisait partie d’une liste parmi d’autres résolutions. On voyait la brochure un peu comme un fanzine : un truc chiadé mais moins long, dans les 15-20 pages. Il s’agissait de mettre par écrit l’exposé qui avait été fait à l’Université d’été et aussi de témoigner du fait qu’on n’avait pas, en tant que réseau, sanctionné l’agression sexuelle que l’une d’entre nous avait subie. Et on s’était rendu compte que dans d’autres milieux militants ça avait été tu de la même façon !
- On avait toutes l’intuition qu’effectivement cette agression sexuelle était un analyseur, avec la conviction que l’intime est politique. Mais en créant les condition d’une parole non-mixte, chaque sous thème de rapports sociaux tels que présents dans le réseau s’est épaissi avec une quantité de vécu : chaque témoignage de l’une faisait écho pour d’autres et pouvait lancer un cycle de 2 heures de recueil de faits, tous plus saillants ; avec des faits d’humiliation sexiste mais aussi d’humiliation classiste, d’humiliation dans le rapport au savoir, le rapport à la visibilité médiatique ; plein de formes de domination très imbriquées qui traversaient le réseau et qui n’avaient jamais été travaillées en tant que telles. C’est là que j’ai découvert vraiment l’ampleur, qu’il y a vraiment un tout et que c’est une guerre ! On aurait pu passer 2 ans de plus et on aurait trouvé à décrire encore plus de choses. C’est en ça que le fanzine est devenu un peu plus … épais. [rires]
- Lorsqu’on a commencé à parler des agressions sexuelles et d’un texte qui disait qu’on ne les qualifiait jamais en ces termes, on s’est rendu compte petit à petit que toutes les femmes du réseau en avaient subies à un moment de leur vie. On a fait sortir des témoignages.
C’est comme ça que je me représente « l’action-recherche » en éducation populaire.
- Le travail qu’on a fait dans le réseau, il avait déjà été fait ailleurs par des féministes. Mais quand on a cherché des descriptions, des récits, on s’est aperçue qu’il n’y en avait pas tant que ça. Notre brochure est donc une petite pierre pour que d’autres femmes puissent profiter de notre expérience et de certaines approches qui ont été essayées dans cette lutte. On veut que ça puisse servir à d’autres.
Vous utilisez la formule « faire classe », quel sens y mettez-vous ?
- J’aime bien la distinction marxiste entre « classe en soi » et « classe pour soi », qui est aussi reprise par les féministes matérialistes. J’ai l’impression d’avoir beaucoup vécu la « classe en soi » à plein de moments où on s’est retrouvé en temps de non-mixité par besoin : typiquement, le groupe sur le « projet politique » c’était ça. Et puis, il y a un basculement sur « classe pour soi », quand on commence à décider de la non-mixité et quand on commence à organiser du droit, en formalisant notre démarche. Et on voit les foudres tomber quand on commence à aller sur « classe pour soi » et quand on décide de devenir vraiment sujettes. Je trouve cette distinction marxiste assez parlante dans ce qu’on a vécu. Elle s’est bien incarnée sur la chronologie des faits je trouve : il y a eu plein de moments intuitifs collectifs, et puis il y a eu un basculement quand on a vraiment commencé à s’organiser.
- Ce qui m’a marquée dans « faire classe », ce sont nos temps informels pour se raconter et aussi pour se soutenir, pour faire corps et front. De toute façon il fallait faire du rapport de force. C’était bizarre parce qu’on avait un enjeu à faire passer nos analyses, et certaines se prenaient des attaques assez fortes, mais en même temps on passait des moments collectifs mixtes joyeux. Dans le « faire classe », il y a l’idée que j’appartenais à quelque chose.
- On était déjà féministes au départ, mais c’est cette expérience commune en non-mixité de femmes, avec nos témoignages incarnés, qui nous a permis de comprendre comment on avait du vécu commun. Petit à petit, on se rendait compte qu’on avait une grille d’analyse qui nous permettait de nous dire que les questions n’étaient pas individuelles : « c’est pas moi toute seule qui suis à vouloir trop préparer les interventions, qui suis trop angoissée, etc. ». On vit toutes la même chose. Le vécu commun constituait petit à petit le fait qu’on appartenait à une même classe.
Avec ma reprise d’études, je constate que, y compris au sein de l’université-de-gauche-sociocritique, le concept de classe n’est plus très porté, et en particulier celui de « classe de sexe ». C’est un nœud à démêler. Oui, évidemment, on s’est sentie divisées à l’intérieur de notre groupe [2] ; mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas « classe des femmes ». Aujourd’hui, c’est comme si on cherchait à détruire la notion de classe de femmes, alors qu’elle est essentielle. On sait que la classe des femmes est hétérogène, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de classe. Penser autrement est vraiment dangereux.
Et toutes ces analyses qui ne veulent pas de classes sociales se retournent finalement contre nous et (re)confortent les dominants. La classe, on l’a expérimentée du fait de nos vécus communs, et de notre organisation collective. Et plus on discute des suites de la brochure et des désaccords entre nous, plus je me dis que le concept de classe est important, car ce dont je me rends compte c’est que la division entre nous provient aussi des hommes en tant que classe. Se pencher là-dessus pourrait être les poursuites de notre groupe non-mixte.
Les hommes tirent des ficelles sur d’autres thématiques pour détourner du féminisme ?
Pas que. D’un côté en effet il y a notre hétérogénéité de classe (différentes trajectoires sociales, des statuts différents au sein du réseau, etc.), mais il y a aussi plein de divisions entre femmes qu’on n’a pas eu le temps de décortiquer qui sont liées à des prises de positions ou non d’hommes, visibles ou invisibles. Il y a eu des alliances d’hommes et des actes d’hommes qui ont donné de la division entre femmes.
Tous les trucs de « complot », de « putsch » ont écarté des femmes de notre travail, alors qu’elles avaient beaucoup de choses à dire sur le réseau ou sur leurs vies.
Quand vous vouliez que les hommes travaillent sur leurs privilèges, était-ce avec cette idée qu’ils prennent conscience de leur position de domination ? Comment aviez-vous envie que ce soit travaillé ? Et pourquoi ça n’a pas été travaillé d’après vous ?
- [rires] Vu qu’on est un groupe non-mixte-femmes, de fait il y a eu un groupe non-mixte d’hommes pendant l’Université d’été. Ils se sont réunis, ils ont fait un petit cercle et ça a été une catastrophe apparemment. Une catastrophe parce que plusieurs ne se sentaient pas dans l’existence d’un groupe non-mixte hommes. Déjà, tous n’étaient pas là, et ils n’avaient pas le même désir derrière. Je n’arrive pas à mesurer quel a été le travail individuel. Après cette classe d’hommes, elle n’est pas homogène non plus, on l’a analysé…
- On voulait pousser les hommes à travailler mais il y a eu un refus de prise en charge collective, avec du déni et des prétextes comme : « On n’est pas concernés », « Je ne m’y retrouve pas du tout », ou encore « Moi, je suis pas trop mal, j’ai pris conscience et je vais continuer ; mais avec les autres, c’est trop dur ». Ceux qui auraient peut-être pu prendre en charge leur classe, s’astreindre à de la réflexivité, se remettre en question et faire de la pédagogie, ils n’ont pas voulu le faire. L’ensemble du boulot qui a été fait, ce sont des femmes qui l’ont porté, partout, tout le temps. Il y a eu vraiment une grosse opposition à mettre en travail les privilèges masculins. Le fait de dévoiler comment les hommes font classe pour augmenter leurs capitaux et assurer leurs privilèges a été une des causes de répression très forte. Autant la notion même de privilèges dans le rapport social capitaliste est actée, autant les privilèges dans le rapport social patriarcal sont mis en doute. Rien que le terme, il a été refusé totalement.
- Ce que j’attendais certainement sur cette question des privilèges, c’était de l’ordre au moins d’une conscience collective et des modifications visibles des pratiques professionnelles – dans le rapport aux stagiaires ou dans les co-animation homme-femme. C’était tellement flagrant ! Cela aurait été un premier pas déjà. Mais comme de toute façon pour certains, notre analyse était insupportable dès le départ, ça l’est devenu forcément beaucoup plus à mesure qu’on travaillait. Certains hommes ont décidé d’abdiquer et de partir en disant que ce n’était pas possible de remettre en question ses privilèges, et que c’était insupportable pour eux d’être jugé sur son côté dominant et réac’. Alors concrètement, il n’y a rien eu de travaillé ; peut-être à la marge seulement : des changements de discours et des attentions, des vigilances, mais rien dans les pratiques de fond.
- En fait tout ce qu’on a gagné – en « prendre moins dans la gueule », se faire moins couper la parole, qu’ils accaparent moins l’espace sans se poser de questions – c’est seulement avec le rapport de force qu’on l’a obtenu. Et la continuité de notre groupe est la seule chose qui garantit de contenir tout ça.
Je ne sais pas si on attendait quelque chose de ce travail de remise en question des privilèges. On voulait surtout s’occuper de nous et travailler pour les femmes. Il y avait une nécessité à fabriquer de la protection sociale, on a donc créé du « droit féministe » au sein du réseau sur les conditions de travail, sur les conditions matérielles de subsistances et sur le fond politique. Ce travail sur les privilèges a été une piste lancée comme ça. Et on n’allait pas faire le travail à leur place en plus.
- Après il y a eu du soutien ; je dirai qu’il y a individuellement de l’alliance proféministe dans des espaces intimes, mais pas avec une parole d’interpellation des autres hommes. En tous cas, à l’échelle du réseau, tout ce qui demande à se départir de privilèges ou à assumer du travail, et bien pour moi il n’y a rien, sauf peut-être quand on envoie un collègue au front pour « gérer » les « gros virils ».
- Moi je n’attendais rien d’eux parce que tout de suite je me suis dit c’était simplement des patrons dans un autre rapport social. Je n’attendais pas d’eux qu’ils changent. Par contre je ne m’attendais pas à ce qu’ils détériorent autant nos rapports. C’était un peu naïf de ma part : j’ai subi comme toutes les femmes du collectif la détérioration patente et violente de nos rapports.
- Pour ne pas travailler leurs privilèges, certains hommes – en particulier ceux du Pavé – ont nié le désaccord politique. C’est une stratégie hyper forte, car elle autorise à traiter l’auto-dissolution du Pavé comme un « divorce », c’est à dire à rester dans le registre psychologique, conjugal ou familial, alors même que notre brochure vient analyser politiquement le conflit et les divergences d’orientation dans l’éducation populaire. Bien sûr, à partir du moment où il y a un déni de la dimension politique du désaccord, on ne peut pas rentrer dans un débat." Suite en hyperlien
Catégories : |
F POPULATIONS - ETUDES DE CAS
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Mots-clés : |
Éducation populaire -- Femmes -- Scop Féminisme éducation -- France agression sexuelle coopérative |
Index. décimale : |
F-11 Femme |
Résumé : |
4ème de couv. : "Ouvrage écrit par 11 femmes qui ne sont ni écrivaines, ni spécialistes, ni universitaires et qui dans ce travail d’écriture collective ont été tout ça à la fois. Elles ont en commun de travailler dans un réseau d’éducation populaire. Ce réseau d’éducation populaire se revendique en résistance contre toute forme de domination (sexisme, racisme, classicisme), propose des formations afin de se réapproprier collectivement le politique, mais comme bien d’autres organisations n’a pas été capable de penser ces questions en interne. Un réseau qui se découvre traversé par le sexisme et le patriarcat. Un réseau qui hiérarchise les luttes.Le déclencheur, c’est l’agression sexuelle d’une d’entre elles par un homme de ce réseau. Cet ouvrage relate le vécu des femmes de ce réseau, les enseignements et les pistes stratégiques qu’elles ont mises en œuvre. Conscientes de la banalité de ces situations, elles ont par cet ouvrage, souhaité rendre visible les mécanismes à l’œuvre, les stratégies qu’elles ont élaborées et leurs tentatives de fabrication de droits en interne. Une histoire d’éducation populaire, une histoire de paires qui se reconnaissent divisées mais choisissent de faire classe et qui en se parlant, comprennent et analysent leurs situations communes. Elles ont écrit pour que leurs réflexions et perspectives d’actions puissent faire échos ailleurs à d’autres histoires et alimenter d’autres aventures collectives et luttes en cours. |
Note de contenu : |
Bibliogr. p. 191-208. Filmogr. 209-211 |
En ligne : |
http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire,1861 |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=242 |
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