Titre : |
Souffrance en milieu engagé. Enquête sur des entreprises sociales |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Pascale-Dominique Russo , Auteur |
Mention d'édition : |
La première enquête sur le mal-être des salariés de l'économie sociale. |
Editeur : |
Paris : Éditions du Faubourg |
Année de publication : |
2020 |
Collection : |
Documents |
Importance : |
180 p. |
Format : |
largeur 133 mm, longueur 205 mm, épaisseur 15 mm |
ISBN/ISSN/EAN : |
978-2-491-24106-3 |
Prix : |
18 € |
Note générale : |
Les citations :
« Un témoignage intéressant sur les modes de gestion du personnel dans les grandes organisations de l'ESS (et notamment les grandes associations du social et les mutuelles). Le livre ne condamne pas l'ESS en bloc, mais pointe les limites de sa prétention à être démocratique et à constituer une alternative aussi désirable aux sociétés de capitaux qu'elle prétend l'être. » Philippe Frémeaux, Alternatives économiques
«On aurait pu penser que les entreprises sociales étaient vertueuses dans leurs missions comme dans le traitement de leurs salariés. Pas du tout, aujourd'hui, ils sont soumis eux aussi aux pressions de la croissance, de la rentabilité. Une enquête passionnante sur un secteur aux coulisses méconnues.» Coup de coeur de Morgane Nedelec, Librairie Le Divan |
Catégories : |
C ECONOMIE - ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
|
Mots-clés : |
économie sociale et solidaire burn-out souffrance au travail associations, mutuelles, coopératives fondation fondations |
Index. décimale : |
C-30 Economie sociale |
Résumé : |
Face à la toute-puissance du marché, l’économie sociale et solidaire jouit d’une aura précieuse et attire de nombreux talents. Or, ce secteur est à son tour affecté par une précarité croissante. Une pression démesurée s’exerce sur les salariés dont certains font des burn-out.
La fonction d’employeur est souvent un impensé de ces structures qui se vivent avant tout comme militantes. Très investis, les salariés peuvent avoir du mal à distinguer vie professionnelle et vie personnelle et se retrouvent, malgré eux, dans une situation de « servitude volontaire ». Un paradoxe et un non-dit.
Cette enquête nous mène dans de grandes associations telles qu’Emmaüs, France terre d’asile ou le groupe SOS, qui se retrouvent en concurrence face à des appels d’offres publics de plus en plus complexes. Les mutuelles sont en proie à une concentration féroce et à d’autres bouleversements à l’origine de souffrances, comme on le voit à la MACIF. Partout, le sens de l’engagement se dilue. |
Note de contenu : |
La journaliste Pascale-Dominique Russo scrute les conditions de travail chez Emmaüs, France Terre d’asile, la Macif ou encore au sein du groupe SOS. Et fait le lien avec les transformations économiques vécues par le secteur.
"L’ouvrage est organisé en trois parties : les dérives hiérarchiques et autoritaires y sont tout d’abord évoquées en contrepoint de l’idéal démocratique revendiqué par l’ESS. On y apprend ainsi que le délégué général de France Terre d’Asile est en poste depuis vingt-trois ans et que le conseil d’administration est soigneusement mis à l’écart des négociations sur l’organisation du travail puisqu’il n’a pas « à se substituer évidemment à la partie opérationnelle » comme l’indique la direction générale. L’ouvrage rappelle que l’association France Terre d’Asile a été condamnée en juillet 2017 par les prud’hommes de Paris à verser à son ancienne directrice de l’accompagnement et de l’hébergement des demandeurs d’asile : 15 000 euros de dommages et intérêts pour « harcèlement moral » et 38 000 euros pour « licenciement nul ». L’institution a ainsi pointé « des pratiques managériales humiliantes, une mise à l’écart, des attitudes persécutrices ayant eu pour conséquence d’altérer la santé physique et mentale de la salariée » (p.44-45). Dans un autre registre, le Groupe SOS, composé de trois associations fondatrices : SOS Drogue international (1984), SOS Habitat et soins (1985) et SOS Insertion et alternatives (1995), se singularise par une stratégie de concentration organisationnelle qui pratique l’évitement des « effets de seuil » imposés par la législation des institutions représentatives du personnel. Bien que la cellule « commerce et services » comprenne 400 salariés, elle est organisée en entités de 50 salariés afin qu’il n’y ait pas délégué syndical selon l’un des anciens salariés interrogés. Par ailleurs, en dépit de son discours humaniste, le groupe SOS se conforme aux pratiques managériales ordinaires et son organisation verticale est « finalement d’une facture très classique » (p.52).
Le second chapitre, intitulé « au nom de la concurrence, tout semble permis », met en lumière les logiques de concentration à l’œuvre dans le domaine des mutuelles et les nouvelles formes de financement du monde associatif qui se rapprochent davantage du marché public que de la subvention. Cette intensification des logiques concurrentielles a des effets manifestes sur la manière dont les entreprises de l’ESS organisent leurs relations sociales. Dans le cas de la MACIF9), Pascale Dominique Russo note que la transformation managériale, engendrée par le projet de fusion avec AESIO (une mutuelle dédiée à la santé et à la prévoyance), a été réalisée « à la hussarde » : « le tournant a été mal préparé et le rythme des changements est trop soutenu, comme l’indiquent les auteur [d’une étude réalisée à la demande du CHSCT] : les plans se sont succédés pendant cinq ans, la demande de rentabilité commerciale devenant l’alpha et l’oméga des directions. Le conseil d’administration dans sa presque totalité y ayant donné son aval » (p.74). Comme le note Pascale Dominique Russo, la MACIF n’est pas un cas isolé. La plupart des mutuelles sont concernées par ce processus de concentration comme l’indique l’auteure : en 2006, on recensait 1 200 mutuelles dans le domaine de la protection sociale complémentaire contre 400 en 2019. D’où cette interrogation formulée par l’Union nationale de prévoyance de la mutualité française (UNPMF) : « le passage du code de la mutualité au code de l’assurance n’a-t-il pas jeté aux oubliettes le principe fondateur des mutuelles, un homme égale une voix, et n’a-t-il pas renforcé par la même l’hégémonie des grosses mutuelles ? » (p.84). Dans le monde associatif, la concentration est également un processus à l’œuvre. Le cas de deux associations de la Gironde, MANA10) et ALEMA (Accueil loisir enfant de Martignas-sur-Jalle), toutes deux absorbées par le Groupe SOS, est exemplaire. Pour ces deux associations, l’intégration au sein du groupe s’est traduite par une reprise en main de la gouvernance, avec la constitution d’un nouveau C.A. dont les membres ont été nommés par le groupe SOS, et une rigidification des rapports hiérarchiques avec une standardisation des procédures de travail. Pascale Dominique Russo ne s’étant pas limitée aux témoignages critiques à l’encontre de SOS, les justifications données par le service de communication s’avèrent tout à fait instructives. Selon ce dernier, ce sont les directions des organisations qui font appel à eux « pour pouvoir s’adosser à une organisation outillée afin de leur permettre de pallier les difficultés qu’elles rencontrent ou pour maximiser leur développement ». Le contrat serait d’emblée clair, « La décision est prise en toute connaissance de cause. L’association est informée des conséquences d’une intégration et du mode de fonctionnement de notre groupe » (p.107). Les cas de France Terre d’Asile, d’Emmaüs Solidarité et des Missions locales montrent ensuite que la concurrence organisée par la puissance publique peut prendre des formes plus ou moins radicales selon les secteurs et l’identité des groupements qui disposent de plus ou de moins de ressources pour en limiter les effets. Néanmoins, tout se passe comme si le modèle associatif, disposant de ressources publiques stables par la subvention et contribuant à l’extension des missions de l’État social, était derrière nous.
Enfin, le troisième chapitre pointe les écarts entre les discours de promotion de l’ESS, qui insistent sur le registre du « sens » et de « l’accord avec ses valeurs », et la réalité des conditions de travail. Le récit des déconvenues salariales est ainsi tout à fait révélateur de l’enrôlement au travail par les valeurs. A cet égard, le témoignage d’une ex-chargée de communication du Groupe SOS est exemplaire : « la pratique la plus courante est la rémunération au SMIC, quelque soit le niveau d’études du candidat. Nos interlocuteurs invoquent l’éthique de l’entreprise. L’économie sociale et solidaire a bon dos ! À SOS, en 2014, on est passés de 19 000 € bruts annuels pour les “petits salariés” dont je faisais partie, à 40 000 euros et plus pour les responsables dont nous dépendions. Il n’y a pas de grille de salaires et aucune négociation n’est possible. » (p.135). La réponse du service communication, rapportée par l’auteure, balaie l’objection : « sur 18 000 collaborateurs, il est normal que certains ne trouvent pas leur bonheur, d’autant plus que dans le champ de l’intérêt général, on observe une surreprésentation de candidats qui idéalisent le secteur et peuvent être déçus par les contraintes et l’exigence de nos organisations, alors même que nous avons une responsabilité de bonne gestion, d’efficience et d’impact, auprès de nos partenaires et surtout de nos usagers bénéficiaire ». SOS affirme faire évoluer « ces jeunes collaborateurs et responsabiliser très tôt l’expertise des jeunes cadres » (p.136). Or, la question salariale est loin d’être anecdotique. Et de nombreux travaux académiques ont mis en évidence le différentiel significatif existant dans les rémunérations entre individus partageant des caractéristiques identiques en termes d’expériences, de qualifications et de postes de travail11). Or, comment l’ESS pourrait-elle envisager convertir le capitalisme à ses « bonnes pratiques » sans aborder sérieusement l’enjeu de la rémunération. En renonçant à interroger sérieusement les fondements de la valeur économique et en reprenant, à bon compte, la morale sacrificielle du « don de soi », l’ESS se condamne elle-même à demeurer une « économie dominée dans une économie dominante » comme nous l’avions écrit avec Pascale Moulévrier12).
Dans sa conclusion, Pascale Dominique Russo n’adopte pas une posture dénonciatrice qui aurait consisté à stigmatiser les pratiques de telle ou telle organisation. En effet, au-delà de l’amélioration des formes d’organisation du travail, c’est bien le « contexte » concurrentiel dans lequel évoluent les organisations de l’ESS qui conduit aux pratiques décrites avec rigueur dans l’ouvrage. Faute de remettre en cause ce cadre, des alternatives existent pour mieux réguler les conflits comme donner une voix délibérative dans les conseils d’administration aux représentations des institutions représentatives du personnel ou développer des outils de prévention des risques. A cet égard, des initiatives existent, comme le recours à la médiation en cas de conflits13), autant de pratiques qui, si elles étaient mises en œuvre, favoriseraient une mise en conformité des entreprises de l’ESS avec les valeurs qu’elles proclament. Ce qui, à l’heure de la loi PACTE et de la promotion des « sociétés à mission », constituerait une voie de sortie par le haut à la crise d’identité que traverse l’ESS. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage de Pascale Dominique Russo aura contribué, en proposant de regarder sans fard l’ESS telle qu’elle est, à poser les bases d’une prise de conscience lucide des contradictions à l’œuvre et à pointer quelques solutions pour les résoudre. Les institutions de l’ESS, et en particulier les organisations patronales, pourront choisir de l’ignorer. Mais ce serait alors au prix d’une dissolution des « spécificités » de l’ESS dans les eaux glacées du néolibéralisme." Mathieu Hély, ISBL, 26/02/2020 |
En ligne : |
https://editionsdufaubourg.fr/livre/souffrance-en-milieu-engage |
Permalink : |
https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=240031 |
Souffrance en milieu engagé. Enquête sur des entreprises sociales [texte imprimé] / Pascale-Dominique Russo  , Auteur . - La première enquête sur le mal-être des salariés de l'économie sociale. . - Paris : Éditions du Faubourg, 2020 . - 180 p. ; largeur 133 mm, longueur 205 mm, épaisseur 15 mm. - ( Documents) . ISBN : 978-2-491-24106-3 : 18 € Les citations :
« Un témoignage intéressant sur les modes de gestion du personnel dans les grandes organisations de l'ESS (et notamment les grandes associations du social et les mutuelles). Le livre ne condamne pas l'ESS en bloc, mais pointe les limites de sa prétention à être démocratique et à constituer une alternative aussi désirable aux sociétés de capitaux qu'elle prétend l'être. » Philippe Frémeaux, Alternatives économiques
«On aurait pu penser que les entreprises sociales étaient vertueuses dans leurs missions comme dans le traitement de leurs salariés. Pas du tout, aujourd'hui, ils sont soumis eux aussi aux pressions de la croissance, de la rentabilité. Une enquête passionnante sur un secteur aux coulisses méconnues.» Coup de coeur de Morgane Nedelec, Librairie Le Divan
Catégories : |
C ECONOMIE - ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
|
Mots-clés : |
économie sociale et solidaire burn-out souffrance au travail associations, mutuelles, coopératives fondation fondations |
Index. décimale : |
C-30 Economie sociale |
Résumé : |
Face à la toute-puissance du marché, l’économie sociale et solidaire jouit d’une aura précieuse et attire de nombreux talents. Or, ce secteur est à son tour affecté par une précarité croissante. Une pression démesurée s’exerce sur les salariés dont certains font des burn-out.
La fonction d’employeur est souvent un impensé de ces structures qui se vivent avant tout comme militantes. Très investis, les salariés peuvent avoir du mal à distinguer vie professionnelle et vie personnelle et se retrouvent, malgré eux, dans une situation de « servitude volontaire ». Un paradoxe et un non-dit.
Cette enquête nous mène dans de grandes associations telles qu’Emmaüs, France terre d’asile ou le groupe SOS, qui se retrouvent en concurrence face à des appels d’offres publics de plus en plus complexes. Les mutuelles sont en proie à une concentration féroce et à d’autres bouleversements à l’origine de souffrances, comme on le voit à la MACIF. Partout, le sens de l’engagement se dilue. |
Note de contenu : |
La journaliste Pascale-Dominique Russo scrute les conditions de travail chez Emmaüs, France Terre d’asile, la Macif ou encore au sein du groupe SOS. Et fait le lien avec les transformations économiques vécues par le secteur.
"L’ouvrage est organisé en trois parties : les dérives hiérarchiques et autoritaires y sont tout d’abord évoquées en contrepoint de l’idéal démocratique revendiqué par l’ESS. On y apprend ainsi que le délégué général de France Terre d’Asile est en poste depuis vingt-trois ans et que le conseil d’administration est soigneusement mis à l’écart des négociations sur l’organisation du travail puisqu’il n’a pas « à se substituer évidemment à la partie opérationnelle » comme l’indique la direction générale. L’ouvrage rappelle que l’association France Terre d’Asile a été condamnée en juillet 2017 par les prud’hommes de Paris à verser à son ancienne directrice de l’accompagnement et de l’hébergement des demandeurs d’asile : 15 000 euros de dommages et intérêts pour « harcèlement moral » et 38 000 euros pour « licenciement nul ». L’institution a ainsi pointé « des pratiques managériales humiliantes, une mise à l’écart, des attitudes persécutrices ayant eu pour conséquence d’altérer la santé physique et mentale de la salariée » (p.44-45). Dans un autre registre, le Groupe SOS, composé de trois associations fondatrices : SOS Drogue international (1984), SOS Habitat et soins (1985) et SOS Insertion et alternatives (1995), se singularise par une stratégie de concentration organisationnelle qui pratique l’évitement des « effets de seuil » imposés par la législation des institutions représentatives du personnel. Bien que la cellule « commerce et services » comprenne 400 salariés, elle est organisée en entités de 50 salariés afin qu’il n’y ait pas délégué syndical selon l’un des anciens salariés interrogés. Par ailleurs, en dépit de son discours humaniste, le groupe SOS se conforme aux pratiques managériales ordinaires et son organisation verticale est « finalement d’une facture très classique » (p.52).
Le second chapitre, intitulé « au nom de la concurrence, tout semble permis », met en lumière les logiques de concentration à l’œuvre dans le domaine des mutuelles et les nouvelles formes de financement du monde associatif qui se rapprochent davantage du marché public que de la subvention. Cette intensification des logiques concurrentielles a des effets manifestes sur la manière dont les entreprises de l’ESS organisent leurs relations sociales. Dans le cas de la MACIF9), Pascale Dominique Russo note que la transformation managériale, engendrée par le projet de fusion avec AESIO (une mutuelle dédiée à la santé et à la prévoyance), a été réalisée « à la hussarde » : « le tournant a été mal préparé et le rythme des changements est trop soutenu, comme l’indiquent les auteur [d’une étude réalisée à la demande du CHSCT] : les plans se sont succédés pendant cinq ans, la demande de rentabilité commerciale devenant l’alpha et l’oméga des directions. Le conseil d’administration dans sa presque totalité y ayant donné son aval » (p.74). Comme le note Pascale Dominique Russo, la MACIF n’est pas un cas isolé. La plupart des mutuelles sont concernées par ce processus de concentration comme l’indique l’auteure : en 2006, on recensait 1 200 mutuelles dans le domaine de la protection sociale complémentaire contre 400 en 2019. D’où cette interrogation formulée par l’Union nationale de prévoyance de la mutualité française (UNPMF) : « le passage du code de la mutualité au code de l’assurance n’a-t-il pas jeté aux oubliettes le principe fondateur des mutuelles, un homme égale une voix, et n’a-t-il pas renforcé par la même l’hégémonie des grosses mutuelles ? » (p.84). Dans le monde associatif, la concentration est également un processus à l’œuvre. Le cas de deux associations de la Gironde, MANA10) et ALEMA (Accueil loisir enfant de Martignas-sur-Jalle), toutes deux absorbées par le Groupe SOS, est exemplaire. Pour ces deux associations, l’intégration au sein du groupe s’est traduite par une reprise en main de la gouvernance, avec la constitution d’un nouveau C.A. dont les membres ont été nommés par le groupe SOS, et une rigidification des rapports hiérarchiques avec une standardisation des procédures de travail. Pascale Dominique Russo ne s’étant pas limitée aux témoignages critiques à l’encontre de SOS, les justifications données par le service de communication s’avèrent tout à fait instructives. Selon ce dernier, ce sont les directions des organisations qui font appel à eux « pour pouvoir s’adosser à une organisation outillée afin de leur permettre de pallier les difficultés qu’elles rencontrent ou pour maximiser leur développement ». Le contrat serait d’emblée clair, « La décision est prise en toute connaissance de cause. L’association est informée des conséquences d’une intégration et du mode de fonctionnement de notre groupe » (p.107). Les cas de France Terre d’Asile, d’Emmaüs Solidarité et des Missions locales montrent ensuite que la concurrence organisée par la puissance publique peut prendre des formes plus ou moins radicales selon les secteurs et l’identité des groupements qui disposent de plus ou de moins de ressources pour en limiter les effets. Néanmoins, tout se passe comme si le modèle associatif, disposant de ressources publiques stables par la subvention et contribuant à l’extension des missions de l’État social, était derrière nous.
Enfin, le troisième chapitre pointe les écarts entre les discours de promotion de l’ESS, qui insistent sur le registre du « sens » et de « l’accord avec ses valeurs », et la réalité des conditions de travail. Le récit des déconvenues salariales est ainsi tout à fait révélateur de l’enrôlement au travail par les valeurs. A cet égard, le témoignage d’une ex-chargée de communication du Groupe SOS est exemplaire : « la pratique la plus courante est la rémunération au SMIC, quelque soit le niveau d’études du candidat. Nos interlocuteurs invoquent l’éthique de l’entreprise. L’économie sociale et solidaire a bon dos ! À SOS, en 2014, on est passés de 19 000 € bruts annuels pour les “petits salariés” dont je faisais partie, à 40 000 euros et plus pour les responsables dont nous dépendions. Il n’y a pas de grille de salaires et aucune négociation n’est possible. » (p.135). La réponse du service communication, rapportée par l’auteure, balaie l’objection : « sur 18 000 collaborateurs, il est normal que certains ne trouvent pas leur bonheur, d’autant plus que dans le champ de l’intérêt général, on observe une surreprésentation de candidats qui idéalisent le secteur et peuvent être déçus par les contraintes et l’exigence de nos organisations, alors même que nous avons une responsabilité de bonne gestion, d’efficience et d’impact, auprès de nos partenaires et surtout de nos usagers bénéficiaire ». SOS affirme faire évoluer « ces jeunes collaborateurs et responsabiliser très tôt l’expertise des jeunes cadres » (p.136). Or, la question salariale est loin d’être anecdotique. Et de nombreux travaux académiques ont mis en évidence le différentiel significatif existant dans les rémunérations entre individus partageant des caractéristiques identiques en termes d’expériences, de qualifications et de postes de travail11). Or, comment l’ESS pourrait-elle envisager convertir le capitalisme à ses « bonnes pratiques » sans aborder sérieusement l’enjeu de la rémunération. En renonçant à interroger sérieusement les fondements de la valeur économique et en reprenant, à bon compte, la morale sacrificielle du « don de soi », l’ESS se condamne elle-même à demeurer une « économie dominée dans une économie dominante » comme nous l’avions écrit avec Pascale Moulévrier12).
Dans sa conclusion, Pascale Dominique Russo n’adopte pas une posture dénonciatrice qui aurait consisté à stigmatiser les pratiques de telle ou telle organisation. En effet, au-delà de l’amélioration des formes d’organisation du travail, c’est bien le « contexte » concurrentiel dans lequel évoluent les organisations de l’ESS qui conduit aux pratiques décrites avec rigueur dans l’ouvrage. Faute de remettre en cause ce cadre, des alternatives existent pour mieux réguler les conflits comme donner une voix délibérative dans les conseils d’administration aux représentations des institutions représentatives du personnel ou développer des outils de prévention des risques. A cet égard, des initiatives existent, comme le recours à la médiation en cas de conflits13), autant de pratiques qui, si elles étaient mises en œuvre, favoriseraient une mise en conformité des entreprises de l’ESS avec les valeurs qu’elles proclament. Ce qui, à l’heure de la loi PACTE et de la promotion des « sociétés à mission », constituerait une voie de sortie par le haut à la crise d’identité que traverse l’ESS. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage de Pascale Dominique Russo aura contribué, en proposant de regarder sans fard l’ESS telle qu’elle est, à poser les bases d’une prise de conscience lucide des contradictions à l’œuvre et à pointer quelques solutions pour les résoudre. Les institutions de l’ESS, et en particulier les organisations patronales, pourront choisir de l’ignorer. Mais ce serait alors au prix d’une dissolution des « spécificités » de l’ESS dans les eaux glacées du néolibéralisme." Mathieu Hély, ISBL, 26/02/2020 |
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